Résultats électoraux en Bosnie-Herzégovine

Des fronts armés aux fronts politiques

d'Lëtzebuerger Land vom 14.10.2022

Les grands partis nationalistes sortent grands vainqueurs des élections générales du 2 octobre, à l’exception de la présidence tournante tripartite. Ils l’emportent une fois de plus partout mais ils devront composer avec d’éventuelles coalitions pour renouveler le millefeuille institutionnel datant de l’accord de paix de Dayton, signé fin 1995.

Les Bosniens devaient désigner les dirigeants du pouvoir central et ceux des deux entités qui composent la Bosnie-Herzégovine (BiH) : la Republika srpska (RS), composée majoritairement de Serbes, et la Fédération croato-bosniaque. Selon les derniers résultats de la Commission électorale (CIK), concernant la présidence tripartite (composée de membres des trois communautés majoritaires), le siège réservé à la communauté bosniaque (majoritairement musulmane) a été largement remporté par Denis Bećirović, candidat du Parti social-démocrate soutenu par onze formations, face au nationaliste bosniaque Bakir Izetbegović et leader du Parti d’action démocratique (SDA). Il s’agit là d’un succès historique : c’est la première fois qu’un représentant d’une formation « citoyenne », qui milite pour une Bosnie «pro-européenne et unie »accède à ce poste depuis les premières élections de 1996 d’après-guerre. La CIK a aussi validé la victoire de la candidate pro-russe Željka Cvijanović, soutenue par l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) de Milorad Dodik, côté serbe.

Quant au siège de la présidence réservé aux Croates, le sortant Željko Komšić, porte-drapeau d’une Bosnie « citoyenne » obtient son quatrième mandat, au grand dam de la Communauté démocratique croate (HDZ-BiH) qui le considère comme illégitime, car élu avec les voix bosniaques qui dominent démographiquement dans l’entité commune qu’est la Fédération (51 pour cent). C’est en effet avec de plus en plus de force que ces dernières années la communauté croate, menée par Dragan Covic, le chef tout puissant du HDZ-BiH, martèle que les Croates sont dépossédés de leurs droits alors qu’ils sont un des trois « peuples constitutifs » avec les Serbes et les Bosniaques. Dragan Covic exige une réforme de la loi électorale instituant un vote ethnique. La candidate à la présidence, Borjana Kristo, avoue même viser à terme la création d’une « troisième entité » en déplorant que le pays soit « divisé de manière injuste ».

Sachant que le HDZ-BiH a le soutien de son parti frère qui gouverne dans la Croatie voisine, mais aussi celui du Groupe du Parti populaire européen (PPE) à Strasbourg, et conscient que l’élection de Zeljko Komsic risque de provoquer de nouvelles tensions et blocages dont le HDZ est spécialiste, voire l’éclatement total de la Fédération, le Haut représentant de la communauté internationale (OHR), l’allemand Christian Schmidt, a, une heure après la fermeture des bureaux de vote, après des mois de suspense, utilisé « les pouvoirs de Bonn » (issus des accords de Dayton). En augmentant le nombre de députés des groupes constitutifs de 17 à 23 avec l’assurance d’un accès au Parlement des députés des peuples constitutifs pour chaque canton, il a de facto permis aux cantons croates d’Herzégovine d’avoir plus de poids au Parlement et a renforcé le HDZ dans la mesure où les voix des Croates (qui votent HDZ) auront plus de poids qu’avant. Au risque d’ouvrir la boîte de Pandore dans un pays déjà profondément divisé.

« L’OHR a rempli un minimum de nos exigences. Au moins, aucun pouvoir ne pourra être formé sans le HDZ-BiH », s’est félicité Mario Mikulic, jeune loup du parti, alors que le gouvernement croate avoue avoir négocié « de manière approfondie et discrète » pour modifier et ethniciser la loi électorale du pays voisin. Car le rôle de la présidence collégiale est avant tout protocolaire. La majorité des compétences revient aux deux entités, et dans le cas de la Fédération, aux dix cantons qui ont chacun un Parlement et un gouvernement. Partout, ce sont les formations ethno-nationalistes qui l’ont emporté. En Fédération, le SDA de Bakir Izetbegović est largement en tête, suivi de la coalition nationaliste croate emmenée par le HDZ-BiH, le SDP ne frôlant que les dix pour cent.

Certes en RS, l’issue du scrutin n’est pas encore certaine, puisque le camp de Milorad Dodik, le russophile connu pour sa rhétorique sécessionniste clame la victoire, tout comme celui de son adversaire Jelena Trivić, vice-présidente du Parti du progrès démocratique (PDP) qui a fait campagne pour en finir avec la corruption du système Dodik, mais sans dénoncer son nationalisme. Suite aux manifestations dénonçant une fraude du SNSD de Dodik et d’autres partis (lesquelles ont réuni des milliers de personnes dans la capitale Banja Luka), la CIK a annoncé le 10 octobre dernier un recomptage des bulletins de vote en raison « d’irrégularités et d’incohérences ». La seule certitude est que les citoyens doutent qu’un quelconque changement est possible. Sachant que l’inflation a frôlé les 17 pour cent en août dernier et que le chômage touche trente pour cent de la population active, l’exode massif risque ainsi de se poursuivre. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), 300 000 personnes ont quitté le pays depuis le dernier recensement de 2013, quand il comptait 3,5 millions d’habitants..

Milica Čubrilo Filipović
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