Maux dits d’Yvan

Liberté, j’écorche ton nom!

d'Lëtzebuerger Land vom 03.12.2021

Les tricheurs d’hier sont les héros d’aujourd’hui. Qui aurait cru que les Schiltz, Wurth et consorts seraient un jour cités en exemple comme des parangons de vertu et de solidarité ? C’est pourtant le cas aujourd’hui (ou presque), face à la quatrième vague de la pandémie et aux flots des anti-« vaccain » (sic) qui n’arrêtent pas de défiler, de moins en moins nombreux, il est vrai, pour la liberté de vivre leur égoïsme, le caprice de contaminer leur prochain et le blanc-seing de paralyser la vie sociale. Et qui aurait cru que les cigales des pays du Sud feraient un jour la leçon aux fourmis du Nord ? Les premiers de classe ès-vaccination que sont le Portugal, l’Espagne, la France et l’Italie, avec leurs plus de 80 pour cent de vaccinés, font la nique aux cancres allemands, autrichiens, suisses et luxembourgeois qui stagnent autour de 65 pour cent. Ces cancres confondent l’étoile jaune avec l’avertissement taxé, montrant ainsi de quel bois ils chauffent le bûcher ou ils brûlent et bradent les idéaux d’égalité, de fraternité et de solidarité.

Mais où est donc passé le poète pour réécrire son hymne à la résistance, l’authentique résistance, au sens sartrien du terme, qui s’oppose à l’ennemi, porteur de mort et de véritable oppression ?

Sur mes papiers d’illuminé

Sur les marches blanches

De la Philharmonie

J’écorche ton nom

Sur toutes les pages Facebook

Sur toutes les pages Telegram

Pierre sang papier ou cendre

J’écorche ton nom

Sur Expressis Verbis

Sur les armes des infirmiers

Sur la musique du baron Ochs

J’écorche ton nom

Sur la raison qui vacille

Sur la raison qui s’éteint

Sur mes saisons froides

J’écorche ton nom

Sur la chair désaccordée

Sur la tombe de mes amis

Sur la main qui ne se tend plus

J’écorche ton nom

Sur l’absence de ma chérie

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écorche ton nom

Sur la santé disparue

Sur le risque encouru

Sur l’espoir sans avenir

J’écorche ton nom

Et par le pouvoir des maux

Je finis ma vie

Je meurs de te méconnaître

Pour t’écorcher

Liberté

Mais où sont les luttes d’antan, les manifs contre les guerres, les combats pour le suffrage universel, les grèves pour les congés payés et les journées de huit heures, les tribunes pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus, les meetings pour la libération de Mandela, les marches pour la libération de la femme ? Les marcheurs blancs d’aujourd’hui caricaturent la liberté comme les islamistes et autres intégristes de tout poil caricaturent la religion. Il y a plus de dix ans, les députés ont voté la loi sur le droit conditionnel à l’euthanasie. Est-ce une raison pour réclamer aujourd’hui le droit inconditionnel de mourir et de faire mourir par le virus ? On a beaucoup glosé sur la composition sociologique des antivax (d’Land du 22 octobre) : on y trouve pêle-mêle des hésitants et des sceptiques, des anxieux et des peureux, des conspirationnistes, des « victimes », des anarchistes, des antisémites, des anthroposophes reprenant les élucubrations ésotériques et racistes d’un Steiner, des Luxembourgeois et des étrangers. Ce qui caractérise et réunit les individus de ce véritable melting-pot est peut-être ce que Adorno et Horkheimer ont défini comme « autoritäre Persönlichkeit ». Si cela semble paradoxal de traiter d’autoritaires des gens qui manifestent contre l’autorité, il faut garder à l’esprit que ces personnalités réfutent avec autoritarisme l’autre qui ne leur ressemble pas. « Leur pensée est stéréotypée avec une tendance à la superstition », renchérissent les deux têtes de l’École de Francfort.

Nombre de vaccinations ont disparu faute de combattants. La variole a ainsi disparu après plus d’un siècle de vaccinations. Il est urgent aujourd’hui d’imposer l’obligation vaccinale contre la Covid-19. Le fléau, en effet, continue de faire mourir les individus tout comme leur vivre-ensemble. La guéguerre autour du vaccin désagrège la société et sème la zizanie jusque dans les familles, comme aux pires réveillons de Noël. Le psychanalyste Jacques Lacan a dit que la psychanalyse et la médecine fonctionnent parce que les thérapeutes incarnent des « sujets supposés savoir ». Aujourd’hui, les médecins sont considérés comme des sujets supposés ignorer et les politiciennes des sujets supposés mentir. Il faut donc commencer par restaurer la confiance. Mais qui dit confiance, dit conscience et autorité. Et cette dernière ne s’oppose pas forcément à la liberté, comme nous l’a appris Hannah Arendt qui a beaucoup réfléchi sur les totalitarismes. « L’autorité a le devoir de limiter la liberté afin de la protéger », écrit-elle. Les pouvoirs publics doivent agir comme le jardinier qui coupe son olivier en hiver pour arrêter la prolifération de ses branches, afin d’en préserver sa fertilité et, partant, sa vie. Mais Arendt a dit aussi, à propos du procès d’Eichmann : « Niemand hat das Recht zu gehorchen ». C’est la Constitution qui sert à encadrer cette véritable quadrature du cercle. Est-ce un hasard alors que le Luxembourg discute actuellement du toilettage de sa Constitution ? Avant de décréter un référendum sur cette question dont peu de gens embrassent la complexité, il serait peut-être judicieux d’en organiser un autour de cette alternative toute simple : « Êtes-vous pour ou contre l’obligation vaccinale ? » « Être pour ou ne plus être», répondrait Hamlet. Aux sceptiques qui ont peur que la vaccination pourrait affaiblir le système immunitaire, on pourra toujours répondre que c’est le contraire qui est vrai : le vaccin renforce et hypertrophie le système immunitaire, exactement comme l’entraînement sportif fortifie et rend plus performant les muscles.

On reproche aux politiques de ne faire que réagir, avec beaucoup (trop) de retard en plus, aux assauts du virus. En décrétant l’obligation vaccinale, ils et elles auront l’opportunité de reprendre la main, d’agir au lieu de gérer, d’endosser la posture de l’homme et de la femme d’État au lieu de verser, comme lundi dernier, dans l’hypocrisie en sadisant et en excluant les non-vacciné.e.s. En organisant, pourquoi pas, un référendum, la et le politique donneront la parole au peuple qui aura, en (presque) toute connaissance de cause, la liberté de conférer à l’autorité le droit de limiter sa liberté. Pour préserver sa vie afin de pouvoir jouir de la liberté. Et pour ne pas confondre désobéissance civique et incivisme. CQFD..
Yvan, avec la complicité de Paul Eluard

Paul Rauchs
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