Le DP se définit aujourd’hui comme « staatstragend » et « sozial-liberal ». Dans son programme électoral, « déi mam Bettel » s’applaudissent : « Wir haben den Index-Mechanismus erhalten ». Et de louer les vertus de la Tripartite, décrite comme « erprobtes Erfolgsmodell ». En 2013 encore, le DP voulait durablement limiter l’index « auf maximal eine Tranche im Jahr » et faisait mine d’être choqué par le « Demokratiedefizit » du modèle néocorporatiste. Sa revendication à l’époque : « Die Regierung wird dem Parlament während der Tripartite-Verhandlung die Sitzungsprotokolle übermitteln. » En 2009, le parti se présentait aux électeurs par une profession de foi : « Die DP steht für freie Marktwirtschaft, Privateigentum und Unternehmertum ». Les libéraux appelaient alors à la modération salariale : « Es geht nicht an, immer höhere Löhne zu fordern und damit Arbeit zu gefährden. » Le royaume de la liberté s’arrêtait aux portes de l’entreprise : « Betriebliche Mitbestimmungsrechte nicht weiter ausdehnen », proclamait le DP.
Le parti a arrondi les angles. Il se recommande désormais à la classe moyenne comme version plus moderne et moins rance du CSV. À cet électorat, coincé dans la « rush hour de la vie », il promet le droit au temps partiel (proposition qui figurait déjà dans l’accord de coalition), une augmentation du congé de paternité de cinq jours (« les coûts seront en majeure partie assurés par l’État », rassure-t-on), ainsi qu’une extension du congé parental de trois mois. Il y a dix ans, c’était encore au nom des « internationale Wettbewerbsbedingungen » et de la « Luxemburger Standortpolitik » que le parti voulait flexibiliser le droit du travail. Si le DP plaide toujours pour une « ouverture dominicale généralisée », il défend surtout le statu quo en s’opposant à une réduction du temps de travail qu’il désigne d’« irresponsable ». Le parti veut toutefois « soutenir » les employeurs qui voudraient en faire « l’expérience à titre d’essai et de manière volontaire ». Les expressions les plus agressivement néolibérales ont disparu de son programme.
Or, par endroits, transparaît encore la face autoritaire du libéralisme : « Wir wollen Arbeitssuchende selbst in die Pflicht nehmen und Eigeninitiative einfordern. Wir werden auch die Zumutbarkeitsgrenzen neu definieren, um zu verhindern, dass ein Arbeits-
suchender ihm angebotene Stellen willkürlich ablehnt », lit-on dans le programme 2023. Il y a dix ans, cette méfiance envers les pauvres, qu’il faut surveiller et discipliner, s’exprimait de manière plus brutale encore : Les sans-emploi devraient être sanctionnés « de manière bien plus conséquente » s’ils ne faisaient pas preuve « d’initiative » ou refusaient un emploi « par paresse » (« Bequemlichkeit »), par exemple à cause des horaires de travail ou des temps de trajet. Au même moment, le DP proposait d’installer des stands de l’armée dans les agences de l’Adem pour informer les jeunes sans-emplois de leurs « perspectives professionnelles ». En 2009, le parti avait même revendiqué des « sanctions financières » contre les parents, « die sich ihrem Erziehungsauftrag komplett entziehen und den Lehrer mit dem Schüler bei Erziehungs- und Bildungsfragen im Stich lassen ». Cette proposition disparaîtra sans laisser de traces.
Certaines choses ne changent pas. Sur l’imposition du patrimoine, le parti tient la ligne. La réintroduction d’un impôt sur la fortune est écartée (« unverhältnismäßig hoher Verwaltungsaufwand »). L’introduction de droits de succession en ligne directe reste, elle, totalement taboue (« lehnen wir strikt ab »). Le DP propose au contraire de revoir à la baisse les impôts sur les héritages en ligne non-directe. En ce qui concerne les hauts salaires, Le DP plaide la force majeure : La « concurrence directe » des autres centres financiers interdirait toute augmentation du taux maximal d’imposition, qui devrait rester « compétitif ». Le parti veut introduire une « Miet-Prämie » défiscalisée censée récompenser les « performances » des jeunes employés (18 à 35 ans). En fait, le DP reprend à son compte une recommandation de l’UEL qui espère attirer les « talents » par une prime (évidemment tax free) permettant à ceux-ci de se loger à proximité de leur lieu de travail. Les libéraux promettent en outre de rendre « encore plus attractifs » la prime participative et le « régime impatrié », qui devaient pallier l’abolition du régime (ultra-favorable) des stock-options. Les ouvriers immigrés, eux, ne sont pas considérés comme « impatriés » : Ils ne gagnent pas assez pour être éligibles à ce statut. Pour lutter contre le manque de main d’œuvre dans les secteurs du bâtiment et de la santé, le DP envisage des missions économiques dédiées, sans en préciser la destination.
Ambitionnant de devenir le nouveau CSV, le DP promet une « steuerliche Entlastung der Mittelschicht » qu’il jure « protéger de la progression à froid », en adaptant « régulièrement » le barème à l’inflation. En 2009, coincés sur les bancs de l’opposition, les libéraux avaient simplement intitulé leur chapitre fiscalité par « Steuern senken », exactement comme le fait le CSV aujourd’hui. Une fois installés rue de la Congrégation, ils ont dû composer avec les contraintes budgétaires. L’individualisation, déjà promise en 2013 puis en 2018, apparaît de nouveau en 2023, cette fois-ci comme « but à moyen terme » à réaliser « pas à pas ».
Le pragmatisme du DP est très éloigné de l’ordo-libéralisme du FDP. Cela n’empêche pas les libéraux luxembourgeois de puiser dans la vulgate entrepreneuriale de leurs camarades allemands. Le sport de compétition refléterait ainsi « den Leistungswillen und die Leistungsfähigkeit einer Gesellschaft », lit-on dans le programme du DP. Dans celui de 2018, on apprenait que le Luxembourg jouait dans la Ligue des champions « der weltbesten Finanzzentren der Welt ». Le programme de 2013 glosait sur les « family offices » et le « private equity », celui de 2023 parle pudiquement de « green finance » et de « gender finance ». Le DP dit aujourd’hui « soutenir » les initiatives de régulation fiscale de l’OCDE et de l’UE, y inclus l’impôt minimum mondial. Le parti n’ose plus faire ouvertement l’apologie du « Steuerwettbewerb ». Il y a dix ans, il clamait encore : « Es gilt, Standortvorteile zu erkennen und dann auch konsequent zu nutzen, zu verteidigen und auszuhandeln ».
Luxleaks a calmé les ardeurs. Passés à la trappe, les « intérêts notionnels » que Norbert Becker et Alain Kinsch avaient fait inscrire en 2013 dans le programme électoral (puis l’accord de coalition). Il faudrait aligner le taux d’affichage à la moyenne de l’UE et des pays de l’OCDE, se contente d’écrire le DP aujourd’hui, tout comme le font la Chambre de Commerce et son ancien président Luc Frieden. La défense du centre financier (« de Lëtzebuerger Bifteck », selon Bettel) fait partie du devoir patriotique. Des fonctionnaires supplémentaires devraient être dépêchés à Bruxelles, afin d’y veiller à ce que les « particularités de notre place financière » soient prises en compte, écrit le DP dans son programme.
La Grande Région n’y apparaît qu’en marge. Le DP se contente de brièvement rappeler son opposition aux « pauschale Geldleistungen an Nachbarregionen oder -staaten ». En 2009, le DP avait même proposé de faire des économies sur le dos des frontaliers. « Der Export von Kindergeld ins Ausland bzw. ins nahe Grenzgebiet wird deutlich abgebremst », promettait alors son Spëtzekandidat Claude Meisch, se référant à la Caritas qui avait la première lancée l’idée. La pandémie et la hantise d’une réquisition du personnel soignant n’ont eu qu’un effet limité sur la position libérale. Tout au plus le DP plaide-t-il pour la construction de logements de service à proximité des hôpitaux. (Sur la question de la santé, le DP ne passe pas à l’attaque. Contrairement à 2009, lorsqu’il pourfendait la législation comme « trop dirigiste, protectionniste et réglementée », et souhaitait soutenir « l’esprit entrepreneurial » des établissement hospitaliers.)
Dans le programme 2023, le logement est positionné front and center. Le DP en livre la raison : « Die Wohnungsbauproblematik reicht mittlerweile bis weit in die Mittelschicht hinein», c’est-à-dire qu’il touche son électorat. Du coup, le parti promet « une offensive historique ». Preuve que les temps ont changé, le parti cite même « l’exemple de Vienne », une référence austro-marxiste assez incongrue dans un programme libéral. Mais le DP ressort surtout son « fonds citoyen » qui devrait permettre aux épargnants lambda d’investir dans le logement abordable. L’idée apparaissait déjà dans le programme de 2018. Cinq ans plus tard, elle ne s’est que peu précisée. Pour assurer « un certain rendement », le fonds étatique devrait également pouvoir investir dans le marché privé, apprend-on. La proposition se trouve à côté de la « rente viagère » que le DP veut promouvoir. Le modèle est assez macabre : Le vendeur continue à habiter sa maison jusqu’à sa mort, l’acquéreur ayant un intérêt objectif à ce que celle-ci intervienne rapidement.
Comme en 2018 déjà, le DP parle de créer une sorte de super-ministère du Logement englobant les compétences de l’Environnement et de l’Intérieur. Le parti plaide pour « l’accroissement et l’accélération de l’impôt de mobilisation ». Il y a cinq ans encore, il s’y disait catégoriquement opposé : « Die DP lehnt eine nationale Spekulationssteuer auf nicht bebauten Grundstücken und unbewohnten Immobilien ab ». Mais dans les milieux patronaux le consensus s’est déplacé. Le DP a suivi le mouvement, abandonnant sa traditionnelle position de laissez-faire. Chose remarquable : Malgré la crise immobilière, le parti n’a pas cédé aux pressions des investisseurs et promoteurs qui exigent des stimulants fiscaux pour « redynamiser » la demande et maintenir (artificiellement) les prix. Dans son programme électoral, le DP ne leur fait que des concessions « limitées dans le temps », comme le rétablissement du quart-taux global et du transfert des plus-values, qu’avaient abolis Pierre Gramegna.
L’équipe de Bettel a trouvé un bouc émissaire pour l’échec de la politique du logement : les Verts. Le DP mène la charge contre ces « unnötig restriktive Gesetze, vor allem im Umweltschutzbereich » qui seraient ressenties comme « chicanières » et « arbitraires » et auraient engendré « mécontentement » et « frustrations ». Le DP souhaite une protection environnementale light, qu’il nomme « ver-
hältnismäßig ». Il adopte la même ligne d’argumentation que le CSV. Luc Frieden vise une baisse de l’effort administratif de vingt pour cent. En 2009, Claude Meisch en promettait trente. Comme le CSV, les libéraux plaident pour une extension des périmètres constructibles. Mais ils précisent illico que les terrains reclassés devraient être exclusivement réservés au logement public et ne pourraient être vendus sur le marché privé.
Xavier Bettel revendique le titre de « Klima-Premierminister ». Il ne veut pas être identifié aux interdits, mais aux incitatifs : « einbinden », « unterstützen », « Anreize schaffen », tels sont les mots-clefs du programme en matière climatique. Les citoyens devraient ainsi pouvoir « décider librement » de leurs moyens de transport, tout comme de leur plaque d’immatriculation « personnalisée ». (Ironie de l’Histoire : un quart de siècle après avoir enterré le BTB, les libéraux proposent aujourd’hui de construire des « S-Bahn-Linien » convergeant vers la capitale.)
Pour réussir la transition énergétique, le DP mise sur l’énergie solaire. En ce qui concerne l’installation de panneaux photovoltaïques, les autorisations devraient prendre au maximum un mois, voire pourraient être complètement abolies, écrivent les libéraux, sans s’encombrer du problème de l’autonomie communale. Sur chaque nouvelle halle industrielle, des panneaux devraient obligatoirement être montés, tout comme au-dessus de parkings « à partir d’une certaine taille », et éventuellement de « différents tronçons de l’autoroute ». Le DP réitère son opposition au nucléaire : Cattenom devrait être fermée « sans délai », dans « l’intérêt de la sécurité nationale ». Le chauffage aux pellets n’a plus ses faveurs : Le DP ne veut les autoriser que dans les cas, où il n’y a « pas d’alternative plus durable ». Sur le carbon capture, le parti a légèrement révisé sa position. Alors qu’il était longtemps opposé à de tels projets, il peut désormais s’imaginer en soutenir, à condition qu’ils répondent à des critères « stricts ». C’est un autre rapprochement avec le CSV, qui fait parade de cette technologie tout en jetant un voile pudique sur le tourisme à la pompe (duquel le DP veut sortir « schrittweise »).
En dix ans, Claude Meisch a reconfiguré le paysage scolaire en créant une offre publique parallèle. Le ministre libéral avait tiré les leçons de la défaite de sa prédécesseure socialiste. Plutôt que de risquer un conflit ouvert, il a choisi de contourner les fortifications syndicales. Cette offensive n’était pas annoncée. Dans le programme de 2013, on cherche en vain la moindre référence au modèle des écoles européennes. Dix ans plus tard, il en existe six, auxquelles le DP veut ajouter une à Dudelange, Esch/Schifflange ainsi qu’éventuellement dans l’agglomération de la capitale. L’alphabétisation en français figurait, elle, dans les programmes de 1999, de 2009 et de 2013 ; mais pas dans celui de 2018, alors que le DP, encore sous le choc du backlash identitaire, menait campagne pour une « Zukunft op Lëtzebuergesch ». À la rentrée 2022, Claude Meisch a finalement passé le pas, en mode projet-pilote. Quitte à irriter le corps enseignant, son parti annonce « généraliser » cette « alphabétisation alternative ». D’autres anciennes revendications libérales, comme l’introduction de directions d’écoles ou de la Ganzdagsschoul, ont par contre disparu du programme.
Les principales réformes sociétales ont été accomplies depuis 2013. Le chapitre « Gesellschaftspolitik » du programme s’est donc vidé. Comme en 2013 et en 2018, on y retrouve toujours l’introduction d’un cadre légal pour la gestation pour autrui (qui devrait « se baser sur un modèle altruiste »). Et comme il y a cinq ans déjà, le DP se dit favorable à une « légalisation partielle » de la prostitution, afin que celle-ci puisse être exercée dans des établissements enregistrés et contrôlés par l’État. Sur la décriminalisation des drogues dures, le DP préfère ne rien dire, pas plus que sur l’extension des programmes de distribution d’héroïne sous forme pharmaceutique. Le libéralisme de droite (incarnée par Lydie Polfer) domine la partie « Justice » du programme électoral. Introduction de la « comparution immédiate », d’une police municipale et d’un « echter Platzverweis » (auquel il faudrait réfléchir) : Dans la politique sécuritaire comme dans d’autres domaines, le DP est très proche du CSV. Du moins programmatiquement.