Dans l’actualité, le nom de Donald Trump a été associé ces dernières semaines à un procès portant sur les efforts entrepris par lui et son entourage pour empêcher une actrice porno de rendre publique une rencontre sexuelle datant de 2006. Les Unes du monde entier ont été occupées par le verdict, après une couverture détaillée d’audiences qui ont mis en lumière les pratiques peu reluisantes de celui qui était alors candidat, puis président fraîchement installé, et ont abouti à sa condamnation pour des écritures comptables contraires aux règles applicables au financement des campagnes électorales.
Force est de se demander pourquoi un scoop du Washington Post a trouvé considérablement moins d’écho, aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs. Le 9 mai, le quotidien américain révélait que l’ex-président et probable candidat du parti républicain à l’élection du 4 novembre avait demandé une donation d’un milliard de dollars à deux douzaines de dirigeants de groupes pétroliers en échange de la promesse de diligemment favoriser leurs affaires. Ainsi, il s’était engagé, en cas de retour à la Maison Blanche, à annuler des douzaines de décisions favorables aux énergies renouvelables ou aux voitures électriques. En particulier, il leur avait garanti qu’il mettrait fin immédiatement à la décision de l’administration Biden, prise le 26 janvier et considérée comme une victoire significative par les défenseurs du climat, de geler, ou du moins de freiner, l’octroi de permis d’exportation de gaz liquéfié.
Cette transaction leur a été soumise lors d’un dîner organisé au mois d’avril à Mar-a-Lago, la résidence de Trump en Floride, précisait le Washington Post. Après que l’un d’entre eux s’était plaint des lourdes contraintes environnementales auxquels leurs entreprises étaient soumises, malgré les quelque 400 millions de dollars dépensés en lobbying l’an dernier pour se faire entendre par l’administration Biden, ils ont été « stupéfiés » lorsque leur hôte leur a proposé cette « bonne affaire », a précisé le quotidien. Autrement dit, même les patrons des plus grands groupes pétroliers américains, qui en ont vu d’autres, ont été soufflés par le culot de leur amphitryon. « Vous êtes tous assez fortunés pour pouvoir lever un milliard de dollars pour me faire revenir à la Maison Blanche », leur a-t-il dit, selon un participant. Parmi les invités, Mike Sabel, CEO de Venture Global, Jack Fusco, celui de Cheniere Energy, exportateurs de gaz liquéfié, mais aussi des représentants de Chevron, Continental Resources, Exxon et Occidental Petroleum.
Trump, qui a obéit aux quatre volontés du complexe pétrogazier lorsqu’il était aux affaires, a-t-il tenté de vendre quelque-chose que ses invités étaient certains d’obtenir de toute façon s’il était élu ? Retenir cette interprétation, c’est sans doute méconnaître la menace existentielle que revêt la crise climatique pour ce secteur. Ce que celui-ci percevait il y a encore quelques années comme un risque relativement lointain, exacerbé par de possibles décisions politiques contraires à leurs intérêts, est désormais pour lui une perspective de disparition accélérée de leurs activités – avec pour corollaire un douloureux effacement de leurs « stranded assets » – du fait de la chute inexorable du coût des renouvelables et des batteries, mais aussi de l’aggravation des impacts du dérèglement.
Joe Biden a déçu de nombreux défenseurs du climat, qui relèvent que sous sa férule, les États-Unis se sont affirmés comme le premier exportateur mondial d’hydrocarbures. Il faut donc se garder d’une approche manichéiste, où le camp démocrate incarnerait la vertu climatique. Il n’empêche : la radicalisation et la polarisation outrancières qui caractérisent dorénavant la vie politique étatsunienne ont fait de la crise climatique un enjeu passionnel, un marqueur identitaire, une discussion idéologique où les faits scientifiques sont écrasés par les pétitions de principe. La promesse du candidat putatif du camp républicain, c’est de s’engager à fond dans cette voie de la polarisation extrême et d’ainsi préserver, ne serait-ce que pour quelques années, les superprofits tirés de la vente du pétrole et du gaz.
Que les frasques et magouilles d’un homme aux mœurs et à la moralité douteuses génèrent de la meilleure copie pour les médias que ses efforts délibérés pour faire frire la planète est hélas encore toujours perçu comme « normal ». Une affaire croustillante, des joutes de prétoire, un prévenu incontrôlable qui insulte le juge et dénonce de manière tonitruante « chasse aux sorcières » et « justice instrumentalisée », d’un côté ; de l’autre, une logique transactionnelle étalée pratiquement au grand jour, impossible à distinguer de pratiques de corruption pure et simple. Ici 130 000 dollars, versés par le biais d’un « fixer » pour favoriser l’élection de son patron, là, un milliard demandé à des patrons pour saper, au vu de tous, l’expression démocratique d’un scrutin et pérenniser le modèle thermo-industriel. Nous sommes en 2024, les émissions globales de CO2 continuent d’augmenter, les conséquences catastrophiques du réchauffement crèvent les yeux et l’objectif de l’Accord de Paris, le limiter à 1,5 degré, est pratiquement hors d’atteinte. À Mar-a-Lago, le vague espoir d’un changement de cap a été mis à l’encan, en un atterrant marchandage pétri de corruption et de cynisme.