La formation d’un gouvernement comprenant un parti d’extrême-droite aux Pays-Bas préfigure-t-elle un glissement généralisé vers le bord ultra-conservateur du spectre politique en Europe ? Et, si c’est le cas, que peut augurer ce qui se passe chez nos voisins néerlandais pour l’évolution des politiques climatiques sur le Vieux Continent?
Ce qui saute aux yeux, avec la victoire de Geert Wilders aux élections de novembre dernier, c’est l’aisance avec laquelle son parti, ouvertement islamophobe et intolérant, a réussi à déplacer le centre de gravité des débats. Face à la complexité des défis qu’affronte l’humanité, à la remise en question résolue du statu quo et aux décisions radicales qu’elles imposent, le nationalisme et le chauvinisme offrent des réponses simples, qui se présentent comme frappées au coin du bon sens, mais qui surtout promettent à ceux qui les gobent une défense inconditionnelle de leurs privilèges et la restauration d’un « bon vieux temps » fantasmé. Au-delà de la diabolisation des migrants, ancrée plus ou moins ouvertement dans le racisme, cette dérive se traduit aussi habituellement, pour faire bonne mesure, par un positionnement agrarien qui idéalise un mode de production agricole fondamentalement insoutenable. Aux côtés du PVV (Partij voor de Vrijheid), le parti du rhéteur impénitent condamné pour avoir insulté des concitoyens d’origine marocaine, on trouve le BBB (Boer Burger Beweging) qui fait campagne contre les contraintes environnementales et pour une utilisation désinhibée des nitrates. Ces deux partis, de même que le NSC (Nieuw Sociaal Contract) de Peter Omtzigt, sont des mouvements dits de protestation ; seul le quatrième membre de la coalition, le conservateur-libéral VVD (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie) emmené jusqu’aux élections de novembre par le précédent Premier ministre Mark Rutte, est une formation « historique ».
Cet attelage hétéroclite et inexpérimenté a annoncé la semaine dernière un accord prévoyant « la politique d’asile la plus stricte de tous les temps » et l’expulsion à grande échelle des habitants sans permis de séjour. Certes, l’accord de coalition indique que le futur gouvernement, qui sera vraisemblablement dirigé par un technocrate, poursuivra certains projets d’action climatique existants, dont les abondements à un fonds établi l’an dernier pour financer l’adaptation au changement climatique (qui seront néanmoins réduits). C’est une des concessions que le parti de Geert Wilders, qui qualifie d’« hystériques » les efforts de réduction des émissions de CO2 et dont les positions sur le climat relèvent du déni, a dû faire pour parvenir à un accord de gouvernement. Il n’empêche : par ailleurs, le texte adopté le 16 mai prévoit de réintroduire une vitesse maximale diurne sur les autoroutes de 130 km/h là où c’est possible (au lieu de 100), d’abandonner les objectifs d’installations de pompes à chaleur, de réintroduire à partir de 2027 le subventionnement du diesel aux agriculteurs... Alors que le précédent gouvernement néerlandais s’était distingué par des ambitions relativement fortes sur le climat – motivées, sans doute au moins en partie, par le fait que 26 pour cent de la surface du pays se trouve sous le niveau de la mer –, la nouvelle coalition va chercher à infléchir ce cap. Pas sûr au demeurant qu’elle y parvienne, d’abord parce qu’elle ne dispose pas de la majorité au Sénat, ensuite parce que certaines « exemptions » qu’elle entend arracher à Bruxelles lui seront refusées par la Commission, enfin parce que les organisations environnementales du pays ont bon espoir de parvenir à bloquer certains projets en portant plainte contre eux.
C’est surtout parce qu’elle déplace le cœur du débat politique vers les thématiques de l’exclusion et de la défense des privilèges acquis, à 180 degrés des approches solidaires que requiert la crise climatique, que la victoire du PVV et la formation de ce gouvernement dirigé par l’extrême-droite est aussi, en pratique, celle du modèle thermo-industriel. Les partis de la droite extrême sont désormais au pouvoir, comme partenaires seniors ou juniors, dans une demi-douzaine des 27 États de l’Union. La plupart des sondages prédisent une poussée notable de ces partis aux élections européennes, y compris pour le PVV. Si les électeurs succombent aux sirènes des Fratelli d’Italia, PiS, Fidesz, AfD, RN et autres Reconquête le mois prochain, la dynamique à l’œuvre à La Haye risque de s’installer aussi dans les instances européennes. S’ils gagnent en influence au Parlement européen, ces partis, aux positionnements plus ou moins eurosceptiques, auront beau jeu d’envenimer les débats et de miser sur la paralysie – alors que la timidité des efforts d’action climatique entrepris à ce jour rendent nécessaire, au contraire, un redoublement d’ambition. S’ils parviennent à s’allier aux conservateurs, remplaçant les libéraux et les sociaux-démocrates, le débat politique européen se transformera rapidement en une foire d’empoigne sur un resserrement des quotas d’asile et un détricotage des directives de protection de l’environnement. Avec à la clé, par ricochet, un escamotage de la problématique de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, pour laquelle il deviendra beaucoup plus difficile de trouver des majorités.
Cette perspective est, heureusement, loin d’être inéluctable. Les analystes politiques s’accordent à dire, au vu des grands écarts que ses membres ont dû faire pour s’entendre, que la nouvelle coalition néerlandaise n’est pas assurée de tenir très longtemps. De même, on peut gager que la tentative des mouvements ultra-nationalistes européens de focaliser l’attention des électeurs sur des questions, désuètes, de préférence nationale et de défense de l’immobilisme fera long feu : les lois de la thermodynamique, qui continueront de faire bouillir notre planète tant que nous ne nous mettrons pas pour de bon à la décarbonation, n’ont que faire du tracé des frontières européennes.