Les problématiques de mobilité, qu’il s’agisse de réduire les émissions de CO2 et la pollution locale qui en résultent ou de réduire les embouteillages, sont souvent abordées indépendamment des facteurs qui déterminent les distances que les citoyens doivent franchir pour leurs déplacements quotidiens. De même, face aux crises du logement, les solutions proposées tendent à ignorer la dispersion de l’habitat et l’explosion des parcours en voiture et des infrastructures routières qui en découleront. Une étude publiée récemment aux États-Unis par l’institut RMI démontre à quel point les réponses usuelles à ces défis sont marquées par le cloisonnement et, de ce fait, contreproductives. Encourager la création de communautés mieux situées et moins dépendantes de la voiture pourrait simultanément résoudre le manque de logements et considérablement réduire la pollution, concluent ses auteurs. Si l’étude est centrée sur les États-Unis, ses enseignements n’en sont pas moins universels et pourraient sans doute aussi aider les décideurs luxembourgeois, embourbés depuis des années dans des tentatives infructueuses de combattre séparément les deux crises, à comprendre à quel point elles sont liées.
Pour RMI, le meilleur levier consiste à imposer aux États américains de modifier leurs règles relatives à l’utilisation du territoire, de façon à promouvoir la construction de communautés compactes et à usages multiples. Une véritable révolution, puisque 80 à 90 pour cent des terrains urbains sujets à développement sont aujourd’hui destinés exclusivement à la construction de maisons individuelles. Et même lorsque d’autres schémas sont autorisés, diverses contraintes, notamment la longueur des processus d’obtention des permis de bâtir, des taxes excessives en matière d’infrastructure pour tout ce qui dévie de cette norme et d’autres approbations onéreuses s’ajoutent aux coûts de développement et découragent ceux qui seraient tentés par des solutions alternatives.
L’objectif central des réformes prônées par RMI est d’aboutir à une utilisation des terres urbaines et péri-urbaines plus efficace et plus équitable. Mais le jeu en vaut la chandelle, car, affirme l’étude, un urbanisme mieux pensé serait le meilleur des outils d’action climatique. « Environ la moitié de la réduction de la pollution associée à une augmentation de l’habitat convenablement situé viendrait d’une baisse des déplacements : des voitures brûlant moins de combustible et consommant moins d’électricité. Un tiers viendrait d’un amoindrissement de la production de voitures et de la production pétrolière en amont. Le reste dériverait de la préservation de puits de carbone naturels qui seraient autrement perdus à l’étalement urbain (sprawl) et d’immeubles plus efficaces, moins gourmands en matériaux », résume RMI. Même si les États-Unis sont le pays emblématique du « sprawl », ils sont loin d’en avoir l’exclusivité : RMI estime qu’à l’échelle globale, l’étalement urbain est responsable directement ou indirectement d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre.
Les mesures urbanistiques préconisées par les experts du RMI en faveur de ce qu’ils appellent le « développement compact » auraient pour effet de réduire de 70 millions de tonnes les émissions de gaz à effet de serre annuelles aux États-Unis en 2033 par rapport à 2023. Cela correspondrait à l’adoption par la moitié des États américains de l’engagement de la Californie d’avoir cent pour cent de véhicules passagers à émissions nulles d’ici 2035. Ou encore : « s’attaquer intelligemment à la pénurie chronique de logements en Amérique – en construisant davantage de logements là où les gens en ont le plus besoin – peut fournir les mêmes impacts climatiques que les politiques de décarbonation des transports les plus ambitieuses du pays ». L’approche de RMI prouve, si besoin était, que la justice climatique n’est pas un concept abstrait, mais un levier fort qui ne demande qu’à être mis en œuvre.
Un autre enseignement précieux de l’étude est que plus une région est touchée par la crise du logement (il en manque au total quatre millions aux États-Unis), plus les mesures recommandées par RMI sont susceptibles de contribuer à sa résolution tout en diminuant les émissions. Leur impact est amplifié par des mesures en matière de transport consistant à développer le transport en commun et à pénaliser le transport individuel : à vrai dire, il apparaît incontournable d’agir simultanément sur tous ces plans. A l’inverse, il faut aussi accepter l’idée qu’il peut s’avérer difficile, après coup, d’attribuer le succès d’un bouquet de mesures à l’une seule d’entre elles.
Certes, il n’est pas aisé d’appliquer telles quelles les recommandations de l’institut américain aux réalités luxembourgeoises. Mais l’on sait depuis un moment qu’au Grand-Duché, ni la sacro-sainte autonomie communale, ni l’indécrottable fascination pour la maison individuelle tributaire de la voiture ne sont exactement favorables à la décarbonation. Lorsqu’une baignoire est sur le point de déborder, rien ne sert d’écoper si l’on ne coupe pas le robinet. Les efforts pour convaincre les gens de privilégier la mobilité douce n’ont aucune chance d’aboutir tant que les forces qui poussent à une colonisation pavillonnaire massive de l’espace naturel autour des villes et à une desserte des étalements ainsi créés par des voitures individuelles restent dominantes.