Le rapport de l’IEA (International Energy Agency) sur l’évolution des énergies renouvelables en 2023 brosse un tableau encourageant : il y a eu 510 gigawatts de capacité ajoutée l’an dernier, soit une augmentation de cinquante pour cent, la plus forte depuis vingt ans. Pour la 22e année consécutive, l’addition annuelle de nouvelles capacités a établi un nouveau record. L’IEA précise que si l’Europe, les États-Unis et le Brésil ont amélioré leurs performances en la matière, l’accélération en Chine a été extraordinaire : le pays a mis en service autant de capacités photovoltaïques que le reste du monde durant l’année précédente, tandis que son éolien a progressé de 66 pour cent par rapport à 2022. Le photovoltaïque à lui seul a représenté les trois quarts des capacités renouvelables ajoutées dans le monde en 2023.
Cette évolution a été servie par des coûts d’installation en chute libre. Ainsi, les prix spot pour les modules photovoltaïques ont baissé de cinquante pour cent l’an dernier, tandis que la capacité de production mondiale atteignait le triple de celle de 2021. Pour 96 pour cent de la capacité industrielle photovoltaïque et éolienne terrestre installée en 2023, les coûts de génération étaient inférieurs à ceux de nouvelles usines fonctionnant au charbon ou au méthane. Le coût du kWh d’origine renouvelable était inférieur pour les trois quarts des installations photovoltaïques ou éoliennes que celui des usines thermiques existantes.
Malgré certaines difficultés auxquelles sont confrontées les industries produisant ces installations, dont des ruptures de chaînes d’approvisionnement, des coûts en augmentation et des durées longues d’obtention de permis de construire, l’IEA prévoit, dans son scénario central, que la part des renouvelables dans la production mondiale d’électricité va doubler pour atteindre 25 pour cent en 2028.
L’IEA est une instance intergouvernementale créée par l’OCDE il y a cinquante ans. Ses analyses et avis, solidement documentées et argumentées, sont rarement mis en cause bien qu’ils soient très en pointe sur les questions climatiques. À ne regarder que ces statistiques et cette projection, un observateur naïf pourrait facilement se convaincre que l’affaire est dans le sac et que décarbonation est non seulement bien engagée, mais bel et bien inéluctable. Et donc, qu’il n’y a plus lieu de s’inquiéter, qu’une solution est en vue pour la crise climatique.
Il n’en est rien, hélas. Premier problème : l’ajout de capacités renouvelables, même s’il est bienvenu dans l’absolu, ne déploie son potentiel décarbonant complet que si celles-ci se substituent à des capacités fossiles. Et bien que la Chine soit loin d’être la seule nation dans ce cas, l’extraordinaire essor du charbon qui a eu lieu dans ce pays récemment a de quoi déprimer le plus optimiste des adeptes des renouvelables. Le dernier rapport annuel de Global Energy Monitor (GEM) relève que la Chine, champion industriel du photovoltaïque et des batteries de voiture, a été responsable pour 95 pour cent des construction de nouvelles centrales au charbon en 2023. Avec la mise en chantier de 70 gigawatts de nouvelles capacités, soit quatre fois plus qu’en 2019, l’empire du Milieu a écrasé les 4 gigawatts enregistrés ailleurs dans le monde. GEM se console en notant qu’il s’agit probablement d’un « blip » appelé à être compensé par un retrait massif de capacités utilisant le charbon aux Etats-Unis et en Europe au cours des prochaines années.
Deuxième souci : l’essor des renouvelables, bien que réel, ne s’inscrit malheureusement pas dans une dynamique politique globale de transition énergétique qui soit à la fois ancrée dans le long terme et à la mesure du défi climatique. Autrement dit, les engagements de réductions d’émissions des États au titre de l’Accord de Paris (NDC) et les cadres réglementaires qu’ils ont mis en place pour y parvenir paraissent bien fragiles face aux assauts en règle auxquels ils sont confrontés. Le capitalisme thermo-industriel n’a pas dit son dernier mot. Les méthodes qu’il emploie plus ou moins ouvertement pour perpétuer son règne prennent de multiples visages et jouent sur de nombreux tableaux, mais ont en commun d’être d’une redoutable efficacité.
Au cœur de la bête, les vendeurs invétérés d’hydrocarbures ne s’en cachent plus : foin de pieuses paroles sur l’évolution vers un vague net-zéro ou d’un passage progressif aux renouvelables, et au mépris de la promesse d’un « transitioning away » convenue fin 2023 à Dubaï, il s’agit désormais pour eux d’affirmer haut et fort que leurs produits sont indispensables au monde. Amin Nasser, le patron d’Aramco, le géant pétrolier saoudien (qu’on a d’ailleurs du mal à distinguer du pays où il opère), a enfoncé le clou le 18 mars au Texas lors de la conférence CERAweek qui rassemble les professionnels du secteur : sous les applaudissements de ses pairs, il a clamé que « dans le monde réel, l’actuelle stratégie de transition échoue visiblement sur la plupart des fronts », dénonçant comme une « illusion » la notion d’un abandon du pétrole et du gaz. Alors que l’IAE estime que la demande mondiale d’hydrocarbures commencera à baisser vers 2030, pour Nasser et ses collègues, cette demande est au contraire appelée à continuer de croître, et ce bien au-delà de cette date.
C’est une toute autre illusion qu’il s’agit donc d’abandonner au plus vite : celle que l’effondrement du prix des renouvelables suffira à rendre obsolètes les énergies fossiles. Avant d’être technologique, tourner la page de notre mode de production carboné est une entreprise politique.