Avec la projection de La Femme Insecte (1963) ce mercredi 1er décembre s’ouvre le premier volet de la rétrospective consacrée au réalisateur japonais Shôhei Imamura. Sans doute moins connu que ses illustres prédécesseurs (Kurosawa, Mizoguchi), Imamura n’en est pas moins l’un des plus grands représentants du cinéma nippon, notamment grâce aux deux Palmes d’or recueillies à Cannes au cours de sa carrière – la première pour La Ballade de Narayama en 1983, la seconde pour L’Anguille en 1997. Au programme de la Cinémathèque de Luxembourg, huit longs-métrages à découvrir, allant des années soixante aux années 2000, du noir et blanc à la couleur, de l’engagement politique à l’érotisme propre au genre national du pinku eiga...
Né à Tokyo en 1926, Imamura est toujours resté fidèle à la capitale nippone. Après un bref passage à la section textile de l’École Technique de Kiryu, il intègre la faculté des Lettres de l’Université Waseda, qu’il quitte dès le lendemain de l’annonce radiophonique de la capitulation. Désœuvré, et voyant sa vocation de dramaturge anéantie, le jeune homme s’installe dans le quartier de Shinjuku, qui est alors le haut lieu du marché noir. Cela le conduit à fréquenter de près la plèbe de la capitale : yakuzas, prostituées, au contact desquels il se lance dans la contrebande de cigarettes et de liqueurs. Ce sont ces visages familiers de malfrats qu’il reconnaîtra dans L’Ange Ivre (1948), ce film de Kurosawa qui lui donne envie de passer derrière la caméra : « Quand j’ai vu L’Ange Ivre, j’ai imaginé un ange, une jeune fille très belle. C’est pour cela que je suis allé voir ce film. Contrairement à ce que j’avais rêvé, l’ange était un vieux type. C’était un film inoubliable. Je commençais à souhaiter travailler avec ce réalisateur ». Shôhei Imamura entre ainsi à la Shochiku, mythique société japonaise où il débute comme assistant de Yasujiro Ozu. Puis il rejoint la Nikkatsu où il poursuit sa formation auprès de Yuzo Kawashima et réalise ses premiers longs-métrages.
Issu d’une famille résolument antimilitariste (son frère aîné meurt à la guerre, son père est médecin), Imamura se fait connaître en Europe en signant Cochons et cuirassés (1961), son cinquième long-métrage ouvertement anti-américain, à un moment où le traité de sécurité entre le Japon et les USA (ANPO) est de plus en plus contesté au sein de l’archipel. Le film peint sans fard la situation économique dans laquelle est maintenu le Japon après la Seconde Guerre mondiale. Une crise sur laquelle fleurissent la mafia, des politiques et entrepreneurs corrompus, mais aussi les G.I. qui occupent le pays depuis 1945 et se prélassent dans les bordels mis à leur disposition. Vient ensuite La Femme Insecte (1963), où Imamura dresse le portrait d’une femme élevée de façon incestueuse par son père : un destin individuel mis en rapport avec les mutations sociales et économiques du Japon sur une période de quarante ans (1918-1960). De la prostitution à l’inceste, en passant par l’industrie pornographique, Imamura entame une longue enquête sur la sexualité qui se poursuit avec Le Pornographe (1966) et s’étend jusqu’aux années 2000 avec De l’eau tiède sous un pont rouge (2001) où une jeune et belle femme déploie de mystérieux pouvoirs au moindre plaisir charnel...
Auteur d’une vingtaine de longs-métrages, fictions et documentaires confondus, abordant aussi bien le retour tardif au pays des stragglers que l’anéantissement à l’arme nucléaire d’Hiroshima sorti peu après la catastrophe de Tchernobyl (Pluie Noire, 1989), l’œuvre d’Imamura est à revoir de toute urgence.