En quinze années, le Portugal est devenu – avec la Roumanie sans doute – l’un des foyers les plus créatifs du cinéma européen. Comme si le manque de moyens financiers avait favorisé l’inventivité. Longtemps réduit à quelques figures tutélaires comme João César Monteiro ou Manoel de Oliveira, une nouvelle génération d’artistes a émergé dans le paysage cinématographique lusitanien. Les films singuliers qui nous sont parvenus ces dernières années sont en effet nombreux. Dans un pays dont on connaît les mœurs très conservatrices, João Pedro Rodrigues faisait sensation en 2001 avec le bien nommé O Fantasma avant de récidiver en 2016 avec L’Ornithologue, dans lequel l’iconographie chrétienne, à la façon de Pier Paolo Pasolini, cristallisait la fascination homosexuelle du cinéaste. Dans une veine plus politique, Pedro Costa s’est fait connaître avec des films dont le style épuré et austère rappelle l’esthétique de Jean-Marie Straub, comme dans La chambre de Vanda (2000) ou En avant jeunesse ! (2006), tous deux tournés dans le bidonville lisboète de Fonthainas. La consécration de Tabou, enfin, signera la reconnaissance internationale du « nouveau » cinéma portugais. Depuis, Miguel Gomes aura recueilli les doléances de ses compatriotes dans Les Mille et Une Nuits (2015), fresque populiste en trois parties débutant par un monumental plan-séquence sur le port de Viana do Castelo. Rarement aura-t-on rendu un si vibrant hommage aux ouvriers et pêcheurs de cette ville.
Parmi les dernières productions réjouissantes venues du Portugal figure incontestablement Diamantino (2018) de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, d’après le surnom de son héros. Soit le « petit diamant » de l’équipe nationale de football. Il faut évidemment voir dans cet athlète à l’antique musculature et à la tête (creuse) de beau-gosse une allusion à la star portugaise Cristiano Ronaldo. Notre jeune joueur de foot vit lui-aussi dans le luxe, entouré d’un père aimant et de deux sœurs-harpies qui vivent à ses crochets et n’ont d’yeux que pour son fric... Mais voilà : après un penalty manqué, qui verra l’élimination (par la Suède !) du Portugal lors de la dernière finale de la coupe du monde, Diamantino perd brusquement son père, emporté par un infarctus devant son poste de télévision... Notre athlète entre alors en crise, annonçant, sur un plateau TV, vouloir mettre fin à sa carrière et adopter un « petit réfugié », pour reprendre ses mots. On s’écarte ainsi du stade et de ses dieux pour pénétrer dans la triste intimité d’un jeune homme esseulé doté d’une psychologie d’enfant. Une immaturité souvent hilarante dans le cadre de cette fable farfelue, mais qui peut être aussi dangereuse lorsqu’elle est sujette à toutes sortes de mystification et instrumentalisation politique servant des visées nationalistes...
Grand prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes, Diamantino étonne par son exubérance, sa loufoquerie, son excentricité qui fait feu de tout bois. C’est un film pop qui aurait pu très bien être réalisé par le duo Pierre et Gilles, que l’on sait amateurs de kitsch et de queer, malgré les sujets graves qui y sont effleurés. Par ses coloris artificiels, ses incroyables envolées narratives, comme par ses préoccupations identitaires et existentielles (l’hermaphrodisme, la quête d’amour), le film revêt une sensibilité proche de celle de João Pedro Rodrigues. Une tendance esthétique aussi bien apparue cette année-là en France avec les films de Yann Gonzales (Un couteau dans le cœur) et de Bertrand Mandico (Les garçons sauvages). Les pères de cette tradition cinématographique – Jean Genet, Pasolini et Fassbinder, entre autres – peuvent être fiers de leurs héritiers.