Giorgia Meloni a mené une intense campagne électorale « contre Bruxelles », mais elle s’est assurée l’approbation de l’actuelle présidente de la Commission

Entre alliances et tensions

d'Lëtzebuerger Land vom 07.06.2024

« L’Italie change l’Europe » déclare Giorgia Meloni à travers son slogan pour les élections européennes. Alors qu’elle s’était initialement montrée très eurosceptique avec l’intention de quitter l’Union européenne, elle a effectué un virage important : elle veut à présent remodeler l’UE de l’intérieur. Elle annonce également être en mesure de faire à l’intérieur de l’UE ce qu’elle a fait en Italie, « d’envoyer enfin la gauche dans l’opposition ». Et même si, d’après les derniers sondages, l’écart entre son parti Fratelli d’Italia et le Parti Démocratique (PD) d’Elly Schlein s’est rétréci, elle garde tout de même une longueur d’avance avec environ 26,5 pour cent par rapport aux 22,5 pour cent du PD. Giuseppe Conte, président du Movimento 5 Stelle avec 15,4 pour cent dans les sondages, affirme qu’en effet l’Europe changerait avec Meloni, mais en pire.

En contraste avec le slogan de Meloni, on peut noter une nette tendance à la baisse de participation au vote européen en Italie, les sondages montrent qu’il risque d’y avoir plus de cinquante pour cent d’abstention. Cette tendance se poursuit depuis un certain temps déjà avec seulement 54,4 pour cent de participation en 2019, 57,7 pour cent en 2014 par rapport aux 85,7 pour cent en 1979, lors des premières élections européennes. Cette baisse s’était déjà fait ressentir au niveau national : Les élections de 2022, lors desquelles Giorgia Meloni a été élue, avaient enregistré le taux de participation le plus bas de l’histoire d’Italie.

Malgré cette tendance, Meloni souhaite avoir plus d’influence sur la politique au sein de L’UE. Une ambition qui ne semble à présent pas si inatteignable. En effet dans la presse on peut lire que l’actuelle présidente de la Commission Ursula von der Leyen « fait la cour » à la présidente du conseil italien et envisage une collaboration. 

Les points principaux qui intéressent Meloni sont le Green Deal, la simplification de la bureaucratie et, sans surprise, la question de l’immigration. Tandis que ce dernier point fait clairement partie de la politique droitière de Meloni, il est assez ironique de pointer la simplification bureaucratique sur un plan européen alors que la bureaucratie italienne laisse beaucoup à désirer. Le sujet du Green Deal est un des aspects qui pourrait freiner une éventuelle collaboration entre von der Leyen et Meloni. L’Italienne a passé les dernières années à s’opposer au pacte vert qui comprend différentes initiatives politiques pour rendre l’Europe climatiquement neutre d’ici 2050. Certains partis verts, comme « die Grünen » en Allemagne, ont averti la présidente de la Commission, insistant sur le fait qu’elle perdrait leur support si elle décidait de s’associer à Giorgia Meloni. Mais les critiques ne parviennent pas seulement du côté vert, les socialistes et libéraux, qui font partie de l’actuelle coalition de von der Leyen, l’attaquent également et menacent de faire obstacle à un second mandat.

Sur la question de l’immigration, Ursula von der Leyen s’était déjà exprimée en faveur de plusieurs aspects, notamment le renforcement des contrôles. En 2023, elle avait également déclaré après sa visite à Lampedusa : « C’est nous, Européens, qui décidons qui vient en Europe et dans quelles circonstances, et non les organisations criminelles de trafiquants d’êtres humains ». Elle a entre autres défendu l’idée de mener les procédures d’asile dans des pays en dehors de l’Europe. Il s’agit ici sans doute d’une stratégie pour gagner plus de voix. Les arguments pour un renforcement des lois anti-migratoires convainquent beaucoup de personnes et sont également l’un des piliers du succès de Giorgia Meloni en Italie, ce doint est parfaitement consciente. Elle ne cesse de poursuivre ses actions pour la mise en place de ses idées, même à quelques jours des élections. Elle s’est notamment rendue en Albanie cette semaine pour l’ouverture du premier des deux centres pour migrants prévus par un nouvel accord entre les deux pays. 

Cependant les mesures prises jusqu’à présent ne suffisent pas. Du moins c’est ce que pensent bon nombre des soutiens de Giorgia Meloni, dans son sillage. Au sein de l’UE plusieurs partis s’accordent sur le sujet. Ainsi, les conservateurs et réformistes européens, soit l’ECR qui mènent un combat acerbe contre l’immigration et considèrent que la Commission ne propose que des solutions législatives faibles et inefficaces. Il n’est donc pas surprenant que Giorgia Meloni en est la présidente depuis 2020. L’ECR estime entre autres que L’UE est « trop centralisée, trop ambitieuse et trop déconnectée des citoyens ordinaires ». Le fait de se présenter comme une femme du peuple est l’une des stratégies politiques appliquée par Meloni en Italie.

En effet, celle-ci se dit fière de ses racines et de ses origines populaires qu’elle met régulièrement en avant lors des campagnes électorales. Elle a ainsi habilement su faire une force des critiques des électeurs de l’opposition qui aiment la comparer à une vendeuse de poisson romaine. Il est vrai qu’elle n’émane pas du même sérail politique que la plupart de ses collègues et paraît ainsi plus proche du peuple. Ce qui est certainement ironique si l’on considère que la Présidente du conseil arpente le monde de la politique depuis son adolescence.

Dans le même registre stratégique, elle joue sur l’aspect personnel et familier lors de sa campagne électorale. Elle utilise son prénom « Giorgia », comme si l’on s’adressait à une amie, et se rapproche ainsi de ses électeurs sur les panneaux électoraux et dans les spots publicitaires. Ces spots mettent en scène des personnes de différents milieux prétendant voter pour « Giorgia parce qu’elle… » a su faire quelque chose pour les aider. Il s’agit ici d’une liste de soi-disant exploits réalisés par la Présidente du conseil au cours de son mandat.

De plus, elle a affirmé que le pouvoir ne la changerait pas. Déclaration intéressante, étant donnés les revirement d’opinion sur de nombreux sujets, notamment envers l’UE. Et tandis que Ursula von der Leyen la défend en la définissant pro-UE, il est légitime de se demander, si Meloni a réellement changé d’opinion – sans vouloir l’avouer à son peuple – ou si cela fait simplement partie de ses nombreuses stratégies pour s’assurer le plus de voix et de soutiens possible. Sa position qui prétend se mettre au même niveau que le peuple a également aidé Giorgia Meloni durant son mandat, car elle a su résister à la tête d’un pays qui change régulièrement de gouvernement.

L’italienne gagne d’ailleurs en popularité au sein de l’UE et son plan pourrait donc porter ses fruits. Il semble en tout cas avoir eu du succès auprès de Marine Le Pen, qui lui tend elle aussi la main avec l’espoir de créer un front solide rassemblant les partis conservateurs et d’extrême droite au sein de l’UE.

Outre des raisons stratégiques qui peuvent pousser Ursula von der Leyen à chercher une alliance avec Giorgia Meloni, il n’est en réalité pas étonnant d’imaginer une union entre les deux politiciennes. Von der Leyen a de plus en plus de mal à cacher son vrai visage. Ces derniers mois, elle fait parler d’elle avec des éclats, comme le scandale lié au Pfizergate et les accusations d’être complice du génocide à Gaza. S’immiscer de manière anticonstitutionnelle dans les conflits internationaux ne va, après tout, pas à l’encontre de la politique de Giorgia Meloni. Les deux politiciennes pourraient donc être d’accord sur de nombreux points et éventuellement jouer un rôle important dans le développement de l’UE les cinq prochaines années. Cependant Meloni ne veut pas prendre nettement position et se montre conciliante face à von der Leyen, pour ne pas perdre une alliée qui la protégerait de ses opposants qui ne la considèrent pas « pro-UE » et de ne pas endommager sa relation avec Bruxelles.

Considérant l’opposition et les critiques auxquelles a dû faire face von der Leyen et la position de Meloni vis-à-vis à cette dernière, il est loin d’être sûr de la direction que prendront les élections ce week-end. Cependant il est probable que von der Leyen ait montré ses cartes trop tôt et qu’elle ne sera pas en mesure d’obtenir un second mandat. Il est aussi possible que cette tactique ait été programmée pour écarter du pouvoir un personnage ayant à présent été partiellement démasqué.

Il est loin d’être certain que Giorgia Meloni réussisse à se frayer un chemin européen comme elle l’a fait en Italie pour remodeler l’UE selon ses critères. En effet, tandis que la Première ministre italienne attire toute l’attention des médias et du public, les autres politiciens ne se laissent pas détourner de leur objectif et préparent de leur côté l’ascension au pouvoir.

Sara Montebrusco
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