Christophe Hansen (CSV) veut devenir commissaire européen. Mais il a appris que la politique est « une partie de Mikado »

Bruxelles-Luxembourg aller/retour

Emile Eicher, Marie-Josée Jacobs et Christophe Hansen, ce lundi soir à Diekirch
Foto: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land vom 07.06.2024

Christophe Hansen est fatigué. Comme secrétaire général du CSV, il a assuré une partie de la logistique des communales, puis des législatives. À peine sorti du Superwaljoer 2023, il se retrouve Spëtzekandidat aux Européennes. Une campagne permanente, qui dure depuis plus de 18 mois maintenant. En début d’année, le CSV a tenté de convaincre les poids-lourds de se porter candidats. Le parti aurait « clairement donné le message à la fraction », relate sa présidente sortante Elisabeth Margue : « Si des députés sont intéressés, qu’ils nous en informent ». Mais aucun n’a voulu se sacrifier pour la cause européenne. Certains étaient encore irrités de ne pas avoir été retenus dans l’équipe gouvernementale. Quant aux anciens, ils ne se sentaient aucune envie de quitter le confort de leurs fiefs communaux pour se retrouver comme débutants dans l’Hémicycle européen. Paul Galles et Laurent Zeimet, deux députés peu en phase avec le CSV du « neie Luc », ont également été contactés ; ils ont poliment décliné.

Le CSV se présente donc avec une liste électoralement faible, surtout en comparaison avec le LSAP qui mobilise trois députés. Les chrétiens-sociaux essaient d’en faire un argument de vente, en garantissant que chacun de leurs candidats ira siéger au Parlement européen. À côté des deux eurodéputées sortantes et d’un commissaire prétendant, on y retrouve deux élus locaux, Guy Breden et Mélanie Grün, quasi-inconnus au-delà de leurs communes (Kehlen et Kayl) ; « weitgehend unbekannt », comme le notait le Wort. (L’un a fini douzième, l’autre seizième sur la liste Sud en octobre dernier.) S’y ajoute le président du CSJ, Metty Steinmetz, un employé de la Chambre de commerce, dont c’est la première élection. En 2019 déjà, le parti se présentait sans noms connus aux Européennes. C’était un des facteurs qui expliquait sa chute de 37,6 à 21,1 pour cent.

Comme une soirée de famille ; ce lundi, au meeting du CSV à Diekirch, l’audience est quasi exclusivement constituée de membres fidèles (et d’un certain âge). S’y ajoutent quelques conseillers communaux, l’une ou l’autre maire, trois députés et une ministre nordiste. Les six candidats prêchent aux convertis, ressassant pour la énième fois leurs éléments de langage. Par moments le vrombissement de la machine à café noie les discours. La cinquantaine d’auditeurs se trouvent à l’étroit « Am Turm », un silo de sciure de bois, reconverti en bistrot.

La seconde partie du meeting est réservée aux questions du public. La présidente de la Caritas et ancienne ministre, Marie-Josée Jacobs, se lance la première. Elle se dit « un peu irritée » par des déclarations « comme quoi nous ferions des alliances mat dem rietsen Eck » : « Ech wëll net am héijen Alter mussen nach aus der CSV austrieden. » Jacobs se réfère aux nombreux appels du pied lancés par Ursula von der Leyen en direction de la post-fasciste Giorgia Meloni et de son groupe ECR (où siège également l’ADR). Christophe Hansen et Isabel Wiseler-Lima tentent de rassurer : Une coalition avec l’extrême-droite serait « complètement exclue », « un non absolu ». (Même si « une collaboration avec l’un ou l’autre député » serait toujours possible sur des dossiers précis.)

Wiseler-Lima estime que les déclarations de von der Leyen n’auraient « pas été très heureuses ». Ou alors déformées dans la presse : « Ech weess net, wat se siche ginn ». L’eurodéputée s’enferme dans une forme de déni. « Ursula von der Leyen fährt keinen Kuschelkurs », dit-elle le 22 mai au Wort. « Ich stelle einen Rechtsruck in der EVP fest, gegen den ich kämpfe », déclare Jean-Claude Juncker, trois jours plus tard dans le même journal. Le CSV se situe traditionnellement sur l’aile gauche du Parti populaire européen, dont il a été marginalisé au cours des dernières décennies. 

La troisième et dernière question est posée par un des rares jeunes présents ce soir, et elle concerne la guerre à Gaza. Le conseiller communal d’Ettelbruck, Vincent Koks, veut savoir pourquoi le CSV n’a pas voté pour la reconnaissance de la Palestine ; une décision qui serait « beaucoup critiquée ». Isabel Wiseler-Lima s’avance très prudemment : Il faudrait « aller en direction d’une reconnaissance ». Un quinquagénaire près du bar se met à fortement applaudir, puis s’arrête, sentant les regards se tourner vers lui.

En première partie du meeting, chacun des candidats a tenté de jouer le rôle qui lui a été attribué. Metty Steinmetz se recommande comme expert en économie : Le fonctionnaire patronal critique la bureaucratie qu’il faudrait réduire « de 25 pour cent ». Issue d’une famille active dans le Verbandskatholizismus, Martine Kemp tient le rôle social : Il faudrait combattre la pauvreté et les inégalités, « mais pas par des barrières bureaucratiques ». La jeune prof d’allemand Mélanie Grün évoque la « work-family balance », tandis que l’informaticien Guy Breden parle (comme toujours) de sa voiture hydrogène. Isabel Wiseler-Lima se présente comme défenseure de l’État de droit. Elle est la seule, ce soir, à réussir à relier les slogans politiques à un narratif personnel, en se remémorant ses vacances au Portugal sous la domination de Salazar : « Quand on se promenait et qu’on voyait des policiers, on changeait discrètement de trottoir ».

Christophe Hansen est difficile à cerner. Il n’est pas un bon orateur. Ses discours restent techniques, sans anecdotes personnelles, ni gravitas européenne, ni saillies humoristiques. À première vue, il semble correspondre au CSV de la nouvelle ère Frieden. Les deux sont passés par la Chambre de commerce, et incarnent l’aile « wirtschaftsliberal » qui a pris le contrôle d’un parti déstabilisé par une décennie dans l’opposition. Mais à y regarder de plus près, le CV professionnel de Hansen se révèle erratique : Il passe de la recherche universitaire à Astrid Lulling, puis de l’eurodéputée CSV à Carole Dieschbourg, puis de la ministre verte à la Chambre de commerce, puis du lobbyisme patronal au Parlement européen. Son parcours politique n’est guère plus cohérent : de l’Hémicycle au Krautmaart, puis de nouveau direction Bruxelles, de préférence le Bâtiment Berlaymont. Le tout en moins de quatre années.

Devenir commissaire européen, dit Hansen, n’aurait pas été son projet initial. Il se serait bien vu ministre, et se serait préparé à cette éventualité. Son épouse travaille à Bruxelles où elle vit avec leurs deux fils de trois et cinq ans. Christophe Hansen explique qu’ils avaient décidé de s’installer au Luxembourg, au plus tard pour la rentrée 2024, où sa femme, qui travaille au Parlement européen, aurait pu continuer sa carrière. Mais l’arithmétique politique en a décidé autrement. La composition d’un gouvernement ressemble à « een emgedréint Mikado-Spill », constatait Hansen en janvier sur Radio 100,7. Deux Hansen au sein d’un même gouvernement, Martine et Christophe étant cousins, cela en faisait trop. Il n’y aurait a priori pas eu d’incompatibilité, maintient celui-ci, même s’il concède que « les gens auraient jasé ».

Né en 1982, Christophe Hansen est le benjamin d’une fratrie de sept. Son père était paysan, exploitant une ferme avec une vingtaine de vaches à Doncols, dans le canton de Wiltz. Sa mère était femme au foyer, s’occupant à élever les enfants. Elle avait immigré au Luxembourg avec sa famille depuis les Pays-Bas à la fin des années 1950, alors qu’elle était adolescente. Quand il était enfant, sa mère lui parlait néerlandais, raconte Hansen, mais il aurait fait un blocage sur cette langue à l’âge de quatre ou cinq ans. (Il dit la parler encore couramment, quoiqu’avec beaucoup d’emprunts luxembourgeois et allemands.)

Après avoir passé son bac au Lycée de Wiltz, Hansen s’inscrit en géographie à l’Université de Strasbourg, pensant initialement devenir professeur de lycée. Il commence par la géopolitique, mais atterrit vite à la géophysique. Hansen se spécialise dans la « télédétection », analysant des images satellites de volcans au Congo et de failles au Tibet (sans s’y déplacer physiquement). Quand son projet de thèse ne trouve pas de financements, il postule, en 2007, pour un stage d’été chez l’eurodéputée Astrid Lulling. Arrivé « par hasard » et sans carte du parti, il y reste sept ans. Il accomplit son apprentissage politique auprès de celle qu’il décrit comme « une bête de travail » : Sur certains dossiers, Lulling aurait fait des alliances avec les libéraux et les socialistes qu’elle seule pouvait réussir.

Au Parlement européen, elle a vaillamment défendu les intérêts des lobbies agricoles, viticoles et bancaires. Mais l’ancienne sociale-démocrate de droite est surtout une experte de la survie politique. En 2014, quelques mois après le Regierungswiessel, Christophe Hansen quitte le bureau de Lulling et commence à travailler pour Carole Dieschbourg, ministre du parti vert qu’abhorre tant son ancienne chef. Pendant deux ans et demi Hansen négociera à Bruxelles les dossiers environnementaux. Son CDD venu à échéance, il pense intégrer le ministère, mais « malgré les assurances » que lui aurait données Dieschbourg, il n’est pas retenu. En 2016, on retrouve Hansen dans les bureaux bruxellois de la Chambre de commerce. C’est donc un ex-lobbyiste qui, deux ans plus tard, se fait assermenter comme député européen. « La Chambre de commerce est un établissement public », relativise Christophe Hansen.

Diffusés il y a dix ans, ses interviews sur Astrid Lulling TV ont mal vieilli. Lorsqu’on lui en cite des extraits, Hansen semble légèrement embarrassé. Dans une de ces vidéos, visionnables sur Youtube, il critique les eurodéputés luxembourgeois, qui délaisseraient les commissions où se négocient les directives impactant la place financière et le secteur agricole : « « Et ass natierlech méi einfach an der Commission des affaires étrangères eng Kéier de béise Fanger ze maachen, well a Syrien oder an der Ukrain eppes geschitt. Mee dovun huet Letzebuerg direkt… » Et Lulling de l’interrompre : « Näischt ! » Dans une autre vidéo, datant elle aussi de 2014, Hansen se lance dans une critique du programme socialiste : « Si schwätze vun der Armut an der Welt, vum Klimawandel, wat wichteg ass. Mee wat a mengen Aen net onbedéngt eng Prioritéit fir Europa misst sinn an dësen Zäiten ». Une phrase qui peut étonner. D’abord, parce qu’une année plus tard, les accords de Paris seront signés. Ensuite parce que, dès sa première année d’études à Strasbourg, Hansen a suivi des cours sur le climat : « C’est une des matières où j’ai reçu mes meilleures notes », précise-t-il face au Land.

Hansen est un des seuls politiciens CSV à disposer d’une réelle expertise sur les sujets « verts ». Cela ne fait pas de lui un écolo. Il vient ainsi de se voir attribuer un piètre score par les cinq grandes ONG écologistes qui ont analysé les votes des eurodéputés sur les questions environnementales et climatiques. Christophe Hansen atteint à peine 28,2 points, en-deçà de sa collègue Isabel Wiseler-Lima (32,4). Charles Goerens cumule 64,5 pour cent de « conformité », tandis que Marc Angel et Tilly Metz atteignent 82,2 respectivement 95,2 pour cent. Sur smartwielen.lu, Hansen répond « plutôt non » à la question de savoir s’il faudra « totalement interdire » le glyphosate, alors qu’Isabel Wiseler-Lima et Martine Kemp cochent la case « plutôt oui ».

Pendant les législatives, Hansen a dragué sans vergogne le vote agricole, en s’adonnant à du green bashing. Dans De Letzebuerger Bauer, il a ainsi signé un brûlot contre la loi sur la restauration de la nature : Celle-ci aurait été concoctée par des « Gutmenschen und Weltenretter », qui seraient « les pires populistes et fossoyeurs de notre agriculture productive ». Il serait désormais temps pour une « Regulierungspause ». Durant les dernières semaines, Hansen n’a eu de cesse de revendiquer plus de « pragmatisme » dans la politique climatique (le programme du CSV parle d’une « approche décontractée »). Ces sorties semblent plus relever de l’opportunisme électoral que de l’intime conviction. Hansen n’est pas un sectaire idéologique, mais un opérateur politique. C’est ce qui explique son efficacité au Parlement européen, où il a réussi à dégager de larges majorités sur les dossiers dont il était en charge, notamment la lutte contre la déforestation. Hansen dit se sentir bien dans la bulle bruxelloise, où il a rapidement acquis une réputation de bûcheur de dossiers. Par son bureau passeront de nombreux jeunes du CSV, dont Alex Donnersbach, Basile Dell ou Kief Albers.

Hansen a grimpé un à un les échelons, accumulant peu à peu du capital politique. En 2011, il prend sa carte au CSV, et se fait nommer secrétaire international du CSJ ; une fonction qui lui permettra de développer son réseau parmi les jeunes loups de la droite européenne. En parallèle, il cultive son ancrage local. Il se fait élire au conseil communal de Winseler (1 400 habitants) et prend la présidence de l’Union des sociétés avicoles (2 700 membres).

Ses premiers résultats électoraux au niveau national ne sont pas mirobolants. En 2013, il finit sixième sur la liste Nord du CSV, une année plus tard, il se classe quatrième sur la liste des Européennes, derrière les anciens du parti. En septembre 2018, Viviane Reding rejoint la Reconquista ratée de Wiseler, et Hansen prend sa relève à l’Hémicycle. Au scrutin européen de l’année suivante, il profite du bonus du sortant, et se classe premier.

« Mir encouragéieren d’Leit net fir déi Ustrengungen ze maachen, an d’culture du mérite geet komplett verluer », se plaignait Hansen il y a onze ans sur Astrid Lulling TV à propos de la Garantie pour la jeunesse. Hansen est un homme ambitieux. En janvier, il a commis l’imprudence de trop l’afficher sur RTL-Radio. Beaucoup de ressorts l’intéresseraient : « Ëmwelt ass eppes, wat mir ganz no läit, Landwirtschaft läit mir no… Mee ech mengen awer och de ganze Marché intérieur ». Sans oublier, l’Énergie et les PME... Une réaction de panique face à l’émergence du concurrent inattendu, Nicolas Schmit. L’improbable Spitzenkandidat des socialistes européens espère s’assurer un portefeuille important au cours des négociations qu’il mènera avec von der Leyen, et forcer la main au gouvernement luxembourgeois. Face au média Euractiv, Schmit estime que ce serait « logique » qu’il soit nommé vice-président exécutif de la commission s’il n’arrivait pas à en décrocher la présidence.

Selon l’analyse de Politico, le Luxembourgeois serait condamné à rester « a harmless, not real competitor » : « The only chance for Schmit to stay on as European commissioner after the election (or have much of a political future at all), is if von der Leyen calls Luxembourg’s Prime Minister Luc Frieden and promises the small country a bigger portfolio if Schmit is allowed to stay in Brussels. » Frieden fera-t-il pour Schmit ce que Bettel avait fait pour Juncker ? Pour l’instant, le Premier refuse de se prononcer. Christophe Hansen risque, de nouveau, de faire les frais d’un jeu de Mikado.

Les Européennes de ce dimanche seront un premier test pour le CSV, une « Sonndesfro » grandeur nature. Le parti réussira-t-il à consolider son score aux législatives, c’est-à-dire 29 pour cent ? voire à récupérer le troisième siège ? En interne, peu osent vraiment y croire. L’opposition de gauche a eu la bienséance de ne pas déguiser les Européennes en référendum sur le nouveau gouvernement. Le CSV, de son côté, a très peu misé sur le « Premier Effekt ». Luc Frieden n’aura fait que deux apparitions, l’une en début de campagne à la Schéiss, l’autre en fin de campagne au Hitch. Ces dernières semaines, le Premier ministre a été le grand absent du débat politique. Sa déclaration sur l’état de la nation aura lieu deux jours après le scrutin européen. Elle sera l’occasion de reprendre l’initiative politique, en promettant de la Kafkraaft aux classes moyennes et des réductions d’impôts aux entreprises. En attendant, le « neie Luc » reste étrangement silencieux.

Bernard Thomas
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