Si on peut reconnaître un mérite à Internet, c’est d’avoir définitivement tranché la question de savoir s’il fallait être un spécialiste pour donner son avis sur une question. Évidemment, la réponse est non, comme le prouvent les commentaires éloquents et enflammés sur l’éducation, la politique, la vidéo-surveillance, la crise migratoire, le réchauffement climatique et, bien entendu, les mérites respectifs des équipes de football nationales. S’il y a bien un sujet sur lequel l’auteur de ces lignes ne dispose d’aucune légitimité, c’est la mode. Ainsi, c’est avec surprise que j’ai découvert que cette semaine était celle de la « Luxembourg Fashion Week » qui, comme son nom ne l’indique pas, se déroule à Dudelange. Après tout, pourquoi pas, je ne vois pas ce que New-York, Paris ou Milan ont de plus que notre cité frontalière.
Le vêtement aura rarement été aussi politique que cette année où le T-Shirt kaki du président ukrainien a symbolisé le courage de l’homme prêt à retrousser ses manches – au sens propre comme au figuré –, à se battre pour sauver son pays et, surtout, la proximité de l’homme de pouvoir avec les gens du terrain. L’homme de 2022, débarrassé de son masque, laisse aussi tomber son costume, sa cravate et sa chemise pour se confronter au danger dans le vêtement le plus démocratique qui soit. Autrement dit, on n’a pas tous le temps de porter son costume au pressing, de repasser des chemises et de faire des nœuds Windsor.
Si l’on y réfléchit, la dernière fois qu’on avait vu les bras nus d’hommes de pouvoir, c’était au moment où ils se faisaient vacciner pour donner l’exemple… On a bien compris le message : après le virus, c’est le vil Russe qu’il faut combattre. Autant porter un T-Shirt en Ukraine un 24 février est sans doute un signe de courage avéré, autant, le récent défilé de tenues censées porter un message peut paraître un peu forcé. Ainsi, en France, ces derniers jours, on a successivement vu la Première Ministre donner une conférence de presse en doudoune polaire, puis le ministre de l’Économie avancer l’idée de porter des cols roulés au bureau pour faire des économies de chauffage.
Sommes-nous tous condamnés à choisir entre le look d’un professeur de gymnastique ou celui d’un professeur de géographie ? Notre libre arbitre a-t-il pour seul horizon une alternative entre textile synthétique bariolé fabriqué à base de bouteilles de Cristalline recyclées, d’une part, et tricot de laine qui gratte atrocement d’autre part ? Alors que les investisseurs les plus malins auront déjà revendu leurs Bitcoins pour acquérir des actions Damart, il reste encore un moyen de ne pas se ruiner en facture de chauffage.
Avant de faire de Luxembourg (ou de Dudelange) une nouvelle capitale mondiale de la mode et du bon goût, il ne faudrait pas oublier que, au Grand-Duché, on n’a ni gaz ni pétrole, certes, mais on a de la bouneschlupp et du kuddelfleck. Sans tomber dans la caricature, il existe une certaine prédilection pour les spécialités hypercaloriques, façon cinquante nuances de gras, qui nous permettent de passer les longs mois d’hiver. Cette année, pour résister, nous serons nombreux à nous porter volontaires pour manger de la raclette toutes les semaines. Voire même, s’il le faut, ressortons l’arme secrète contre la crise climatique, cette recette qui a terrorisé des générations d’enfants, ce nom qui résonne encore comme une punition sur le menu hebdomadaire de la cantine : les chicons au gratin. Quelle meilleure idée que ce plat roboratif pour réchauffer l’ambiance !? Son nom, déjà, est une incitation aux débats les plus animés, entre tenants de l’appellation « endive au jambon », ceux du « chicon au gratin », ou les consensuels « chicons au jambon » (si l’on vous propose des « endives au chicon », n’y allez pas, c’est une arnaque). Une fois les esprits bien échauffés, il reste le principal, affronter l’amertume du légume bouillant, fibreux et visqueux, sournoisement caché par, successivement, une solide tranche de jambon qui l’étreint tel un sac de couchage en cochon véritable, enfouie sous une épaisse couche d’une riche sauce béchamel, elle-même surmontée d’un gratin bien doré et croustillant. Comme quoi, avec un bel emballage, on peut tout avaler. Finalement, c’est peut-être cela le vrai message de la mode...