Pasta, amore e famiglia

d'Lëtzebuerger Land vom 23.09.2022

Impossible de compter le nombre de pizzerias, trattorias et autres osterias que compte le Luxembourg. Depuis plus d’un siècle, la présence des immigrés italiens et de leurs descendants a marqué le paysage gastronomique grand-ducal (lire d’Land 12.08.2022). Pour remonter le temps et retrouver un des plus anciens restaurants italiens du pays encore en activité, il faut aller à Schifflange, Chez Toni. Ce vendredi, la famille Ceccacci sera au grand complet pour fêter les cinquante ans de la maison. Toni et Christina, les fondateurs, ont fait le voyage depuis leur retraite italienne pour retrouver leurs clients fidèles. Aujourd’hui, c’est leur fils Luigi qui raconte une histoire tissée de hasards, de rencontres et de beaucoup de travail.

Toni Ceccacci s’est d’abord installé en France, où il est arrivé en 1960 depuis la région du Latium (autour de Rome). Il travaillait au Luxembourg dans un atelier mécanique lié à l’industrie sidérurgique, « un frontalier avant l’heure », s’amuse son fils. En 1972, Toni, sa femme Christina et leur trois enfants âgés de six à douze ans déménagent à Schifflange. Ils achètent cette maison de la rue des Artisans où « par hasard, il y avait un café au rez-de-chaussée ». Le Café de la Poste, dont les premières images remontent à 1925 était un incontournable de la vie locale. Toni se voyait mal le fermer et a décidé de l’exploiter. « Très vite, tout le monde s’est mis à dire qu’on allait chez Toni… le nom s’est imposé de lui même », remonte Luigi. À l’époque, il n’est pas rare que les clubs sportifs et associations locales aient leur siège à l’adresse d’un bistrot. Les membres s’y retrouvent après un match ou un entraînement, y organisent leur réunions et assemblées. Ils y exposent leurs trophées et y disposent d’une armoire à casier d’épargne. Chez Toni, les clubs de gymnastique et de handball de la commune se réunissent régulièrement. Et après leurs rendez-vous, ils ont faim. Christina va préparer des grands plats de lasagnes et de cannelloni pour nourrir les sportifs affamés. « Il n’y avait pas de place pour plus de vingt personnes, ni en salle, ni en cuisine, mais ça faisait plaisir à tout le monde. »

Pendant quelques années, l’établissement fonctionne plus comme un café que comme un restaurant. Mais l’acquisition d’un four à pizza en 1977 va changer la donne. Le café traditionnel façon Boppe Bistro à la luxembourgeoise connaît des transformations pour devenir un restaurant italien. Guido Tanzi, ami de la famille installé à Esch fait venir un frère pizzaiolo d’Italie pour apprendre les rudiments de son art au jeune Luigi, 17 ans au compteur. (Sa pizzeria Lema a longtemps été considérée comme la meilleure d’Esch.) « Mais j’ai surtout appris sur le tas, en cuisinant. J’ai dû faire des milliers de pizza depuis le temps. » Progressivement, la carte s’étoffe d’autres spécialités transalpines, notamment les pâtes farcies. Les cappelletti faits à la main par Christina et quelques petites mains volontaires font la réputation de la maison qui prend son envol au milieu des années 1980.

« C’est difficile d’expliquer ou d’analyser le succès. Pendant des années, ça fonctionnait tout juste, sans plus. Et puis tout d’un coup, c’est le boom. On n’avait pas assez d’assiettes à pizza pour servir tout le monde et il n’était pas rare de devoir attendre une heure pour recevoir sa commande », se rappelle l’aîné de la famille. Après des années de labeur, Toni et Christina prennent leur retraite et s’en vont – d’abord pour quelques mois, mais finalement pour y rester – en Italie. « Ils ont donné beaucoup d’eux-mêmes, sans compter leurs heures ». En 1991, Luigi reprend l’affaire : « Ce n’était pas imaginable de faire autre chose ». Sa femme Sylvie, sans être issue du sérail de la cuisine, se prête de bonne grâce au service et au bar, avant de s’occuper aujourd’hui de l’administration et de la comptabilité. L’équipe reçoit le renfort en cuisine de Marijan qui deviendra chef de cuisine après avoir appris les recettes et les secrets de « nonna » Christina. En plus des pâtes, il ajoute des plats à la carte pour suivre les tendances et plaire au plus grand nombre. Les carbonara sont proposés « à l’italienne ou avec crème », les spaghetti vongole « pomodoro ou bianco », les penne all’arrabbiata plus ou moins piquants selon les palais. « On donne des conseils, on explique ce qui se fait en Italie de manière authentique, mais les clients font comme ils veulent au bout du compte ».

Nouvelle étape décisive quand, en 1994, le voisin vend sa maison et a la bonne idée de la proposer aux Ceccacci d’abord. Une nouvelle salle de banquet est construite à la place de l’ancien jardin et un petit hôtel de huit chambres vient compléter l’offre. Depuis une vingtaine d’années, il n’y a pas eu de grands bouleversements. L’équipe compte une vingtaine de personnes dont certains sont là depuis longtemps. Et Luigi, avec l’aide mémoire de Sylvie, d’énumérer : « Mounir, le chef de salle est là depuis 25 ans, Laurent, au service, 27 ans même. Angelo fait les pizza depuis vingt ans... ». Dernière nouveauté en date, il y a une dizaine d’années, la création de la Nuddelfabrik. C’est Deborah, la fille de Luigi qui prend la parole pour raconter cette partie de l’histoire. Après des études en communication, après quelques années comme journaliste chez RTL, elle rejoint l’entreprise familiale où elle s’occupe du marketing tout en se familiarisant avec le service et les clients. « Je savais que ma route reviendrait vers le restaurant et je suis heureuse d’y apporter d’autres compétences ». La fabrique de pâtes, donc, est née de la demande de clients d’acheter les fameux cappelletti. Le chef de cuisine Marijan s’est lancé avec la famille. Aujourd’hui le processus est industrialisé, mais les ingrédients et la recette sont toujours ceux de la nonna. La liste des produits est régulièrement revue pour coller aux saisons. Ainsi les farces à l’ail des ours, au potiron ou aux champignons s’ajoutent au classique ricotta épinard qui reste cependant le best seller. Toni et Christina n’ont pas à rougir de leur héritage..

France Clarinval
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