CULTURE ET ÉCO-RESPONSABILITÉ (4)

Bonnes pratiques et mauvais accord

d'Lëtzebuerger Land vom 04.08.2023

Les supports de communication sont parfois plus éloquents que ce que l’on nous donne à lire. Avec ses presque 180 pages mêlant pêle-mêle mots de bienvenue, descriptifs de concerts, publicités, infos pratiques, formules d’abonnement, logos des partenaires, la brochure de la nouvelle saison de la Philharmonie Luxembourg constitue un outil particulièrement intéressant, au-delà de sa seule fonction pratique. Car il s’avère aussi un formidable condensé de contradictions et de paradoxes. À peine l’ouvre-t-on que l’on tombe sur la publicité d’un constructeur automobile (au côté duquel est étrangement associé le logo du ministère de la Culture). On en comprend la raison deux pages plus loin : il est l’un des principaux mécènes de l’institution et occupe à ce titre une place primordiale dans le programme, avant même que ne s’exprime la puissance publique. On ne sait cependant qui sort réellement anobli de cette association symbolique et financière entre la Philharmonie Luxembourg et le groupe automobile. Le remerciement adressé aux mécènes (« Nous remercions nos partenaires qui, en associant leur image à la Philharmonie et à l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et en soutenant leur programmation, permettent leur diversité et l’accès à un public plus large ») va dans les deux sens, puisque l’industrie automobile y trouve une bonne occasion de redorer son blason, terni par des années d’émissions de CO2. Rassurons-nous cependant : la voiture en question est électrique en plus de disposer d’un système d’écoute inédit…

Ce n’est qu’à la page suivante qu’advient le mot de la ministre Sam Tanson (Déi Gréng), qui conclut son propos en insistant sur la responsabilité environnementale de la Philharmonie : « Enfin, le fonctionnement d’une telle institution ne peut et ne doit plus s’envisager sans s’inscrire dans une responsabilité sociale et environnementale accrue, aussi bien pour ses collaborateurs et son fonctionnement interne que dans l’organisation de ses événements et l’élaboration de sa programmation. » Une dimension intégrée par le ministère à la charte déontologique relative aux structures culturelles conventionnées, en vigueur depuis juin 2022. Puis c’est au tour du directeur général et du président du conseil d’administration de la Philharmonie Luxembourg de poursuivre l’idée de transition (« Changement, transformation, développement… », entonnent-ils en incipit), mais jamais formulée en des termes écologiques : il s’agit plutôt d’inviter le public à faire preuve d’audace dans ses choix de programmation. C’est d’ailleurs un oubli général puisque le site Internet de la Philharmonie ne mentionne, et donc ne valorise, un quelconque engagement écologique, pas même celui de la fondation EME à laquelle incombe pourtant cette mission.

Est-ce à dire que la Philharmonie Luxembourg ne serait pas écolo, avec son élégant édifice installé place de l’Europe, ses 185 salariés (musiciens compris), ses 400 manifestations organisées en cours d’année, ses artistes en résidence et les tournées de son orchestre dont on s’apprête à célébrer le 90e anniversaire ? Recrutée en décembre 2022 pour la double mission de l’inclusion et de la durabilité à la fondation EME, Sarah Bergdoll nous assure pourtant qu’elle l’est (presque) complètement. Et que bien des mesures ont été depuis édictées et mises en place en interne, comme l’emplacement d’un centre de tri pour les salariés et l’installation généralisée d’ampoules LED. Et quitte à s’en remettre à la technique comme solution provisoire, les salles disposent d’un système d’air conditionné qui ne s’active qu’en cas de présence humaine. L’impression des supports papier a été réduite de moitié et la brochure de la nouvelle saison est téléchargeable depuis le site internet. Un diagnostic carbone piloté par l’association anglaise Julie’s Bicycle est même en cours de réalisation, précise la jeune femme. Sarah Bergdoll est également à l’initiative de quelques challenges en direction de l’équipe, comme des mois sans voiture, sans ascenseur ou sans impression papier. Et concernant les festivités ponctuant la saison ? « Pour les événements que nous organisons, ajoute Sarah Bergdoll, nous tentons de suivre la logique de Green Events point par point. Nous essayons même de rendre durables et applicables au quotidien les efforts que nous fournissons dans un cadre événementiel. » Parmi ces manifestations, le festival Sang Mat ! Nature se distingue en promouvant l’écologie par la chanson et des ateliers de chant en direction d’enfants scolarisés à Luxembourg.

Mais le bon dieu – ou le diable, selon les versions – gît dans les détails. Subsiste la présence d’écrans digitaux ou d’une navette de bus uniquement en direction de Trèves, à l’exclusion des publics français et belges limitrophes donc. Intituler une soirée « Excellence from Overseas » peut aussi paraître maladroit ou complètement indifférent aux enjeux climatiques. Même s’il ne s’agit pas de se couper du monde et de se priver de prestigieux artistes comme Riccardo Muti par exemple, il n’empêche : deux orchestres américains se déplaceront en avion pour une ou deux dates à la Philharmonie. De même pour le festival Atlântico auquel prendra part le Brésilien Gilberto Gil, même si les formations sont ici nettement plus réduites. On voit ici la contradiction entre une des missions de la Philharmonie – faire venir les plus grands artistes sur la scène luxembourgeoise ] et les impératifs de développement durable auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Pour faire face au problème des transports, la Philharmonie a rejoint le réseau Echo (European Concert Hall Organisation) et son groupe de travail éco-responsabilité constitué en février qui comprend une dizaine de structures culturelles. Son but ? « Outre la volonté de travailler ensemble, nous souhaitons être pionniers avec les autres salles de concert pour assurer des tournées durables et écoresponsables. », nous renseigne Sarah. Si les déplacements de l’Orchestre philharmonique s’effectuent majoritairement en bus (tout comme l’équipe de la Philharmonie), il y a nécessité à se concerter avec d’autres maisons pour mutualiser les dates, les hébergements et les transports. C’est donc au niveau international que la Philharmonie va s’engager pour mettre en place une stratégie européenne concernant les tournées. Quant au mécénat liant la Philharmonie Luxembourg au constructeur automobile allemand, c’est no comment.

Loïc Millot
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