edito

Pas d’école, pas de théâtre

d'Lëtzebuerger Land vom 07.04.2023

Un indice : ce matin, vous avez mis moitié moins de temps que d’habitude pour relier votre domicile à votre lieu de travail, à la condition que vous circuliez en voiture. En train, ce serait plutôt l’inverse, des travaux sur la voie vous ont obligés à prendre un bus de substitution, bondé. Un autre indice : ce phénomène s’observe plusieurs fois dans l’année, à intervalles assez réguliers. Il s’agit bien sûr des les vacances scolaires, soit douze semaines par an où le pays dans son entier semble mis sur pause. En été, on parle de Summerlach. Au Royaume-Uni, les journées creuses de l’été sont appelées « silly season », parce que tout le gouvernement est en vacances. L’expression a été inventée en 1861 par la Saturday Review.

Mais il n’y a pas que l’été. Pendant soixante jours, il n’y pas de cours dans les écoles, les lycées, les conservatoires ou l’université. C’est la définition. Mais pendant ces périodes, il n’y a pas non plus de séances à la chambre des députés ni d’audiences dans les tribunaux. Pour les journalistes, les vacances scolaires se mesurent au faible nombre d’e-mails reçus, à la quasi absence de conférence de presse et à la difficulté de joindre ministres, fonctionnaires, ou autres personnalités politiques.

De mon point de vue, le plus frappant, ce ne sont pas les travaux sur les rails et sur les routes, c’est l’absence presque totale d’activité dans les théâtres. Sur le calendrier de la Theater Federatioun, qui se veut exhaustif, on ne trouve que deux rendez-vous pendant la quinzaine des vacances de Pâques : l’indéboulonnable Trois du 3 (qui a lieu immuablement le 3 de chaque mois au Trois C-L) et La Campagne, pièce jouée actuellement au TOL qui reprend miraculeusement le 15 avril. On remarque particulièrement cette plage désertique avec la pièce Ode proposée au Kasemattentheater deux soirs fin mars avant de s’interrompre pour deux semaines et de retrouver son public mi-avril. Les théâtres sont réticents à programmer des pièces quand les profs sont en vacances.

Cette « Schoulkalenner Mentaliteit » dans la programmation des théâtres et centres culturels n’entraîne pas seulement une activité réduite : Au désert culturel des vacances répond une inflation d’offres dans les semaines qui suivent, avec parfois huit nouvelles pièces en l’espace de dix jours, pièces qui ne sont souvent jouées que pour quelques représentations. À sa création en 1996, la Theater Federatioun s’était notamment fixé comme objectif d’œuvrer à une meilleure répartition des dates de représentations. 25 ans plus tard, les choses ont peu évolué. Un des groupes de travail se focalise sur la surproduction du secteur, le nombre de représentations des pièces et les questions de calendrier, ce qui prouve que cela reste un problème.

À croire que le public n’est composé que de profs et de leurs étudiants (ou que tout le monde peut partir en vacances plusieurs fois par an, ce qui, avec 26 jours de congé paraît une équation impossible). Certes, quelques pièces ciblent spécifiquement un public scolaire, notamment quand l’auteur figure au programme de français ou d’allemand. Mais la diversité de la programmation dans les thématiques, les auteurs, les styles devrait attirer un public plus large. Les visites des coulisses, des introductions aux spectacles par un spécialiste avant la représentation, les discussions et les rencontres après les pièces font tout pour ouvrir le théâtre à d’autres publics, moins élitaire. L’espace théâtral ne devrait plus être une enceinte sacrée, mais un lieu d’échange et de rencontre pour tous.

C’est pourtant justement quand on a du temps de vacances, qu’on a moins de contraintes et plus d’occasion d’aller au théâtre ou ailleurs. D’autres secteurs culturels continuent à vivre pendant les vacances : On ne compte pas moins de six concerts à l’Atelier, huit à la Rockhal, trois aux Rotondes (qui se sont fait une spécialité de la programmation de vacances avec les Congés annulés en été), trois à la Kulturfabrik (dont le lancement du nouveau disque de Chaild). On constate une avalanche d’ateliers, visites guidées et programmes d’accompagnement dans les différents musées. Le Mudam n’a pas hésité, par exemple à débuter son exposition phare autour de Michel Majerus à la veille des vacances. On note enfin des sorties de grosses productions au cinéma. Pas de fatalité donc, que de la volonté. Profitons-en, il reste trois mois avant le Summerlach.

France Clarinval
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