Au courant du mois d’août 2018, le monde retenait son souffle. La crise turque allait-elle causer des turbulences dans le système financier mondial ? Le 10 août, après l’annonce par le président Trump de l’imposition de taxes douanières sur l’acier et l’aluminium en provenance de Turquie, la livre turque perdait seize pour cent en frôlant la barre des sept livres pour un dollar. Mi-septembre, il fallait 6,20 livres pour acheter un dollar quand il n’en fallait que quatre début avril, soit une perte de valeur de 55 pour cent. Les raisons citées le plus souvent étaient l’endettement excessif envers l’étranger, les pressions de l’exécutif sur la Banque centrale et la nomination de M. Albayrak, gendre du président Erdogan, au poste de ministre des Finances et du Trésor.
Les devises d’autres pays émergents plongeaient également. Le rand sud-africain a perdu 22 pour cent depuis avril 2018 et l’Argentine, dont la devise a perdu quarante pour cent depuis le début de l’année, a demandé l’aide du FMI. La hausse des taux d’intérêt américains passant de 0,15 pour cent début 2017 à deux pour cent aujourd’hui a provoqué un « appel d’air » pour des capitaux investis à court terme dans les pays émergents. Allions-nous assister à une nouvelle crise de la dette comme celle de la crise asiatique de 1997 ou celle de la dette mexicaine en 1982 ?
Pour qui voulait répondre à cette question, la déclaration du 10 août 2018 de M. Erdogan ne pouvait qu’intriguer. Ce jour-là, le président turc avait déclaré : « Changez les euros, les dollars et l’or que vous gardez sous vos oreillers en livres en vous rendant dans nos banques ». Évoquant une « lutte nationale » et des « attaques économiques », il a ajouté : « Nous devons défendre notre pays ». On peut comprendre la mention de dollars et d’euros, mais de l’or ? Pourquoi mentionner l’or ?
En investiguant, on découvre que la Banque centrale de la République de Turquie avait expliqué en février 2018 que l’augmentation du déficit de la balance courante en 2017 était causée d’une part par une énergie plus chère expliquant 8,6 milliards de dollars et… d’autre part par des achats d’or pour 11,6 milliards. La balance des comptes courants mesure les flux nets de devises d’un pays avec le reste du monde. On comprend donc que la Turquie se serait endettée en dollars pour acheter de l’or, environ 300 tonnes. Que peut bien vouloir faire la Turquie avec 300 tonnes d’or supplémentaires ? Une telle quantité n’est certes pas destinée à alimenter seulement les joailliers du bazar d’Istanbul.
En suivant la piste de l’or, on apprend qu’en avril 2018, la Banque centrale turque a rapatrié ses réserves (220 tonnes) stockées auprès de la Réserve fédérale des États-Unis (la Fed) à New-York. Ce fait est également curieux quand on connait les difficultés qu’ont rencontrées les Allemands pour rapatrier leur or, également stocké auprès de la Fed.
Au cours des dernières années, l’or a progressivement disparu des écrans radar de l’actualité. Mais le métal jaune garde un certain nombre de « fidèles » qui croient en sa valeur refuge. L’or est en effet un métal rare. 175 000 tonnes en tout et pour tout auraient été mises à jour par les humains. L’extraordinaire densité de ce métal fait que le volume total de tout l’or du monde tiendrait probablement dans la cathédrale de Luxembourg. Les banques centrales conservent des réserves en or ainsi que le FMI. Ces réserves se montent à 30 000 tonnes, soit un peu moins d’un cinquième de l’or existant. Les États-Unis détiennent les réserves les plus importantes avec 8 134 tonnes et l’Allemagne est numéro deux avec 3 371 tonnes devant le FMI avec 2 847 tonnes. La Turquie n’aurait que 236 tonnes de réserves et on voit donc que les 300 tonnes d’or achetées en 2017 sont significatives.
La Fed stocke de l’or pour le compte de 36 pays. Ces stocks trouvent leur origine dans la période allant de 1944 à 1971 pendant laquelle le dollar américain était librement convertible. Les pays qui encaissaient des dollars pour leurs exportations pouvaient se présenter à la « gold window » de la Fed et les échanger en or. Mais transporter l’or était risqué et cher et donc beaucoup de pays préférèrent laisser leur or nouvellement acquis aux bons soins de la Fed. Ce ne fut pas le cas de la France de De Gaulle qui envoyait régulièrement la Marine française prendre livraison de l’or acheté pour le stocker en France. L’Allemagne fédérale avait des troupes américaines sur son territoire. Le Rideau de Fer se trouvait à cent kilomètres de Francfort.
Tout le monde était donc d’accord pour laisser l’or acquis à la Fed bien en sécurité à New York à l’abri d’une possible invasion soviétique. Après 1989, cet argument perdit sa raison d’être mais l’or allemand ne fut pas rapatrié. Sous la pression d’activistes déterminés, dont un certain Peter Boehringer, devenu en 2017 député de l’AFD au Bundestag, la Cour des comptes a demandé en 2012 à la Bundesbank de rapatrier l’or allemand. On apprenait alors que 1 536 tonnes se trouvaient à New York et seulement 1 036 tonnes en Allemagne même.
Ce n’est qu’à partir de 2013 que ce rapatriement a commencé, non sans difficulté. Pour commencer, la Fed refuse que ses stocks soient vérifiés par des experts indépendants ou même par les pays propriétaires d’or. Fin 2013, les Français qui stockaient également de l’or allemand, avaient renvoyé 32 tonnes d’or et la Fed… cinq tonnes sur les cinquante promises. En août 2017, Carl-Ludwig Thiele, membre du directoire de la Bundesbank en charge du dossier, était très heureux d’annoncer qu’il avait réussi à rapatrier 674 tonnes. Mais, si les Français avaient tout renvoyé, seules 300 tonnes étaient revenues du fameux stock de la Fed où il resterait donc encore plus de 1 200 tonnes.
Que la Turquie ait ainsi pu rapatrier l’intégralité de son stock à première demande en dit long sur le statut de l’Allemagne, géant économique mais nain politique, et sur la relative position de force de la Turquie. On voit également que bien que la plupart des financiers déclarent mépriser l’or qu’ils qualifient volontiers de vieille relique d’un monde révolu, l’or reste un enjeu entre les puissances. La décision de rapatriement de la Turquie est une déclaration de méfiance envers l’allié américain. De plus, la Turquie accumule une dette en dollar pour acquérir du métal jaune. Quelqu’un qui voudrait brandir la menace du défaut sur la dette lors d’une négociation difficile ne s’y prendrait pas autrement.
Et il y a un certain nombre de contentieux ouverts entre la Turquie et les États-Unis qui promettent des négociations difficiles. Il y a le sort de Fethullah Gülen, que la Turquie voudrait échanger contre le pasteur Brunson, mais il y a également l’aide de l’Otan aux Kurdes qui luttent contre Daesh en Syrie et puis il y a Halkbank. Et là encore, nous retrouvons la piste de l’or.
En mai 2018, le tribunal fédéral de New York condamne pour fraude bancaire et conspiration M. Mehmed Hakan Attila, ex directeur des affaires internationales de la banque publique turque Halkbank, à 32 mois de prison. Halkbank fait l’objet d’une enquête de la part des autorités américaines et pourrait se voir condamner à une forte amende comme ce fut déjà le cas pour d’autres banques et notamment en 2014 pour BNP Paribas qui écopa de 8,9 milliards de dollars d’amende. Que reproche-t-on à Halkbank ?
En 2012, en raison du programme nucléaire iranien, l’Union européenne décidait d’interdire à 116 individus et 442 sociétés, dont la Banque centrale d’Iran, l’accès au réseau de transfert interbancaire Swift. Cette coopérative de droit belge, basée à La Hulpe non loin de Bruxelles, gère les transactions bancaires internationales du monde entier. S’en voir exclu signifiait pour l’Iran ne plus pouvoir se faire payer pour ses exportations ni payer ses fournisseurs étrangers. Par la voix de son président de l’époque, M. Lazaro Campos, Swift s’est déclarée « obligée d’agir » mais non sans souligner qu’interrompre ses services envers les banques constituait un « acte exceptionnel et sans précédent de la part de Swift ».
La Turquie avait obtenu des États-Unis des exemptions à l’embargo sur les achats de pétrole et de gaz iranien. L’Iran, voisine de la Turquie, était avec la Russie, autre quasi-voisin, son premier fournisseur d’énergie. Les alliés de l’Otan ne voulaient pas frapper la Turquie du fait des sanctions contre l’Iran. Les Turcs ont donc continué à importer du pétrole iranien après l’embargo. Mais, comment payer après l’interdiction d’accès à Swift ? S’est alors mis en place un système dans lequel Halkbank vendait de l’or acheté sur le marché international à des Iraniens, personnes privées. Ces Iraniens payaient l’or avec les livres turques reçues en paiement des achats d’énergie de la Turquie. Ils transportaient ensuite l’or dans leurs bagages à Dubaï. Là, des sociétés de négoce de métaux précieux achetaient l’or, le revendaient sur le marché international et, avec les dollars obtenus, réglaient les factures des importations iraniennes. Ainsi, l’Iran put contourner partiellement l’embargo imposé par l’UE sur l’accès à Swift.
Halkbank se défend d’avoir rien commis d’illégal. Les sanctions de mars 2012 ne concernaient pas le commerce de métaux précieux avec l’Iran. Les États-Unis se sont aperçus de cet oubli par la suite et ont élargi l’embargo aux métaux précieux à partir du 1er juillet 2013. Selon Halkbank, elle aurait alors mis un terme à ces opérations sur l’or. Mais entre 2012 et 2013, Halkbank a vendu des tonnes d’or. On parle d’une valeur de treize milliards de dollars.
Bien avant d’arriver devant la justice états-unienne, cette affaire prit un tour dramatique. En décembre 2013, la police turque met à jour ce qui semble être une énorme affaire de corruption. On aurait trouvé 4,5 millions de dollars en liquide chez le CEO de Halkbank, M. Suleyman Aslan et 750 000 dollars chez le fils du ministre de l’Intérieur, patron de la police. Dans le coup de filet, est arrêté un changeur de monnaie de Dubaï, un certain Reza Zarrab, Irano-Azéri qui a acquis la nationalité turque. Il semblerait que la moitié des flux en or en relation avec les importations turques aient transité par le bureau de change de M. Zarrab à Dubaï. Selon ce dernier, il aurait versé 70 millions de dollars de « commissions » à trois ministres du gouvernement de M. Erdogan et celui-ci aurait été au courant.
Quand le scandale éclate, M. Erdogan accuse la police, les journalistes, les États-Unis et Israël de complot. Des dizaines de policiers turcs sont révoqués. La rupture entre M. Erdogan et le mouvement Hizmet date de ce moment-là après que M. Fethullah Gülen eût déclaré « que ceux qui voient le voleur mais poursuivent celui qui pourchasse le voleur, qu’Allah apporte le feu dans leur maison ».
Le gouvernement turc a cherché à étouffer l’affaire. M. Akin Ipek, le magnat turc à qui Garanti Bank Luxembourg avait refusé l’accès à soixante millions de livres sterling se trouvant sur les comptes d’une de ses sociétés, a raconté à Pierre Sorlut (Luxemburger Wort du 18 mai 2016) que les autorités turques lui auraient demandé d’intervenir auprès de ses chaines de télé pour étouffer l’affaire de corruption ci-dessus, ce qu’il avait d’ailleurs accepter de faire. Malgré sa démonstration de bonne volonté, Akin Ipek a été exproprié de son groupe employant 5 000 personnes en octobre 2015. Peu avant, il avait fui à Londres où il se trouve toujours. Il n’a pas récupéré les fonds de Garanti Bank et la Turquie demande son extradition.
Suite à cette affaire, la répression envers tous ceux qui étaient de près ou de loin liés au mouvement Hizmet s’est mise en place progressivement. Les restrictions sur les écoles du mouvement ont été accompagnées de mesures d’expropriations. La banque Asya, une banque islamique liée au mouvement Gülen, est la première cible économique. L’État retire ses dépôts. La propriété de la banque est contestée et les déposants voient leurs comptes gelés mais doivent payer leurs dettes de cartes de crédit. Une semaine après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, la licence de la banque est retirée et Asya mise en faillite. À son apogée en 2009, la banque avait un bilan de sept milliards de dollars
Outre les purges massives dans l’administration qui ont abouti au limogeage de plus de 140 000 fonctionnaires, un bon millier d’entreprises ont été expropriées pour lien supposé de leur propriétaire avec le mouvement Hizmet. L’état d’urgence empêche les personnes concernées de faire valoir leurs droits devant un tribunal. En juillet 2017, le Financial Times estimait les actifs expropriés de 965 sociétés employant près de 50 000 personnes à onze milliards de dollars. Ces actifs ont été placés dans le « Savings Deposit Insurance Fund » et seraient destinés à être mis aux enchères. Il y a donc là des perspectives de très bonnes affaires pour les amis du régime.
Avant de frapper le mouvement Hizmet, M. Erdogan avait déjà puni Koç Holdings, un conglomérat pesant 47 milliards de chiffre d’affaires, appartenant à la famille Koç. Avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP, cette famille d’oligarques aux opinions kémalistes avait longtemps bénéficié des largesses de l’État. Trois de ses sociétés ont été condamnées à de lourdes amendes fiscales, trente millions de dollars pour Tofas, 50,6 millions pour Yapi Credit, et 186 millions pour Tupras. M. Erdogan reprochait aux Koç leur sympathie supposée avec les manifestants du parc Gezi en 2013. Des manifestants fuyant la police avaient trouvé refuge dans l’hôtel Diwan et l’hôtel Diwan appartient aux Koç…
Même si quasi aucun Turc aujourd’hui ne se revendique plus de Hizmet – et pour cause –, tout le monde a assisté à ces expropriations massives. Comment avoir confiance dans les banques du pays ou dans sa devise ? Les Turcs ont connu leur dernière hyperinflation à la fin des années 1990. Donc, ils thésaurisent du dollar, de l’euro et de l’or, d’où le solde obstinément négatif de la balance des comptes courants. C’est ce qu’on appelle la fuite des capitaux. Avant les investisseurs internationaux, ce sont sans doute des Turcs qui se sont détournés en premiers de leur propre monnaie, causant le creusement de la dette extérieure et la dépréciation du cours de change.
Ceci ne veut pas dire que la spéculation internationale ait épargné la livre turque. Selon les Échos du 23 mai 2018, la paire dollar-livre turque était depuis un certain temps la favorite des fonds spéculatifs. En octobre 2017, sur le marché de Londres, première place mondiale sur les devises, les transactions journalières se chiffraient en moyenne à cinquante milliards de dollar par jour soit autant que les volumes échangés sur la paire dollar-renminbi chinois. Les mouvements récents ont certes généré des profits record pour ceux qui pariaient à la baisse de la livre. Mais, comme il s’agit d’un jeu à somme nulle, quelqu’un a supporté les pertes. De qui s’agit-il ? C’est cette incertitude sur l’identité des perdants qui avait généré la méfiance entre les banques lors de la crise bancaire de 2008-2009. Ce scénario va-t-il se répéter ?
La crise financière turque se double d’une crise diplomatique. Il y a le sort du pasteur Brunson qui a beaucoup retenu l’attention, mais il y a plusieurs autres pommes de discorde. Citons uniquement le soutien américain et français aux milices kurdes en Syrie, une « ligne rouge » pour Recep Tayyip Erdogan. Le pasteur Brunson, retenu en Turquie, aurait fait l’objet d’une proposition d’échange. Les Occidentaux prétendent que l’offre aurait été de donner à M. Attila la possibilité de finir sa peine en résidence surveillée en Turquie en échange de la libération de M. Brunson. Mais les Turcs auraient demandé en outre que la plainte contre Halkbank soit enterrée ce que les Américains auraient refusé. Les Turcs, eux, prétendent qu’ils auraient proposé d’échanger Andrew Brunson contre Fethullah Gülen.
La question de Halkbank est peut-être la plus épineuse. « Si Atilla devait être déclaré criminel, cela reviendrait presque à déclarer que la République turque est criminelle » avait dit M. Erdogan. Pour le discours officiel en Turquie, l’affaire de corruption autour des flux d’or vers l’Iran est un complot fomenté par des adeptes du mouvement Hizmet visant à faire perdre le pouvoir à M. Erdogan et que ceci fut suivi de la tentative de coup d’État de 2016. Donc, M. Erdogan ne peut que très difficilement transiger sauf à se dédire et perdre la face.
Pour les États-Unis, la « ligne rouge », ce sont les sanctions contre l’Iran. Or, les États-Unis ont demandé à Swift d’exclure à nouveau les Iraniens du réseau à compter du 4 novembre 2018. Il n’est pas question de laisser un possible échappatoire à ce pays qui pourrait passer par la Turquie. Cette fois-ci, ce ne sera pas l’UE qui fera la demande à Swift, signe de la mauvaise humeur européenne face à la décision américaine de mai 2018 de sortir de l’accord sur le nucléaire difficilement trouvé en 2015. Le 22 aout 2018, M. Heiko Maas, ministre allemand des Affaires Étrangères, a publié un article dans Handelsblatt où il se déclare favorable à un système de paiement international indépendant du dollar. Il écrit : « Nous ne devons pas simplement accepter que Washington prenne des décisions sans nous consulter, à nos frais. » Quand on voit la force des demandes allemandes pour récupérer leur or ou leurs protestations sans conséquences suite à l’écoute du téléphone de la chancelière par la NSA, on peut douter que cette déclaration sera suivie d’effets. Mais on voit que l’attitude envers l’Iran a changé et que les États-Unis ont plus de mal à faire valoir leurs vues à leurs alliés européens.
Depuis le deuxième trimestre, la pression sur la Turquie via la devise et la dette était à l’œuvre. Était-il vraiment opportun que M. Donald Trump ajoute des sanctions douanières le 10 août 2018 ? Cette décision a marqué une escalade dans la crise et précipité la chute de la livre. Le 9 septembre 2018, la Russie, l’Iran et la Turquie ont annoncé qu’ils vont commercer entre eux en monnaie nationale sans passer par le dollar. Il est difficile de dire aujourd’hui quelle sera la portée de cet accord. Mais, les décisions récentes des États-Unis poussent la Turquie vers une alliance orientale.
Or, la Turquie a un poids stratégique considérable. Sa population de 80 millions d’habitants dont l’âge médian est de trente ans fera passer la Turquie devant l’Allemagne (âge médian 47 ans) d’ici quelques années. La forte croissance économique depuis les années 2000 a porté le PIB par habitant aux alentours de 26 000 dollars. La surface du pays est de 1,4 fois celle de la France. Disposant de 1 600 kilomètres de côte méditerranéenne, l’influence culturelle de la Turquie s’étend aux pays du Moyen Orient dont elle est désormais la première puissance économique. Les populations de langue turque peuplent l’Asie centrale le long de l’ancienne route de la Soie jusque dans le Xinjiang chinois peuplé de dix millions de Ouïghours, mais on en trouve aussi le long de la Volga au Tatarstan russe dont la capitale est Kazan. De plus, le territoire turc bloque l’accès de la Russie aux mers chaudes.
Ces considérations avaient valu un intérêt très soutenu de l’Otan dont la Turquie est devenue membre dès le premier élargissement en 1952 avant l’Allemagne fédérale. L’armée turque a été choyée par les États-Unis qui ont formé nombre de ses officiers en Amérique. Cinquante à 90 bombes atomiques B-61 – sur les 200 engins nucléaires déployés par l’Otan en Europe – sont stockées sur la base d’Incirlik. Il semble inconcevable que l’Otan se prive de tels atouts. D’autant que la perspective d’une alliance régionale avec la Russie et l’Iran formant une continuité géographique et une population de plus de 300 millions d’habitants ne doit pas amuser les stratèges occidentaux pour ne rien dire des pays du Golfe.
Les pays qui, depuis 1945, se sont opposés aux États-Unis ont payé cher leur effronterie. Le Viêt-Nam a perdu dix pour cent de sa population dans une guerre totale menée contre les civils et la nature. Cuba se trouve sous embargo depuis 1962 après la nationalisation de compagnies américaines. L’Iran est sous sanctions depuis près de quarante ans. Le président chilien Salvador Allende, qui avait eu la mauvaise idée de nationaliser les ressources du sous-sol chilien, meurt dans son palais à Santiago le 11 septembre 1973 sous les bombes de l’aviation chilienne.
M. Erdogan s’inscrit assurément dans la lignée de ces dirigeants charismatiques qui ont osé lever la tête et défier l’ordre établi. Jusqu’où pourra-t-il aller ? Il reste qu’il a quelques arguments historiques à faire valoir quand il parle d’attaques économiques. En attendant, le monde regarde. Quand on joue avec des allumettes sur un baril de poudre, il ne faut pas s’étonner quand on provoque une explosion.