Si le stress lié aux aînés est passé avec les examens de fin d’année, il reste à bon nombre des parents de jeunes enfants une ultime épreuve à surmonter avant de pouvoir savourer pleinement les deux mois de vacances qui se profilent : la fête de l’école. Comme chaque année, il va falloir choisir une stratégie pour échapper aux copains pénibles de vos enfants, aux parents potentiellement encore plus pénibles de ces enfants, et à une ambiance de toute façon propice à la création de moments que tout annonce relativement pénibles : chaleur, promiscuité, fatigue générale, boissons servies dans des gobelets en plastique consignés, nourriture aussi indigeste que la musique et, surtout, obligation de s’émerveiller et de faire bonne figure.
En effet, la Schoulfest n’est pas qu’une bonne excuse pour quitter tôt le bureau. C’est surtout l’occasion de se faire de nouveaux amis. Ou, tout au moins, pour mettre de côté ce petit fond de misanthropie et partir à la découverte des autres sans préjugés. On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise ni d’une bonne rencontre. Ni d’une mauvaise, comme, par exemple, découvrir que le bougre d’empaffé qui se gare toujours pile devant le passage-piétons et laisse tourner le moteur de son SUV pendant dix minutes est le papa de la meilleure copine de votre fille.
Pour nouer des contacts avec ces inconnus que vous croisez tous les jours, rien de mieux que se porter volontaire pour un stand. Si vous n’avez pas votre brevet de maquillage en princesse ou en pirate, vous pouvez vous rabattre sur les stands de jeux type roue de la fortune ou pêche aux canards. Côtoyer les enfants des autres dans un environnement propice à les surexciter est l’occasion rêvée pour vous déculpabiliser et vous ôter tout complexe quant à vos supposés échecs éducatifs. La tactique consistant à menacer d’une punition puis à compter jusqu’à trois avant de la donner, voire de ne pas la donner, ne fonctionne pas mieux dans les autres familles que dans la vôtre.
L’option stand bière ou grill semble risquée à première vue, mais peut s’avérer payante pour ceux qui parviendront à s’inscrire pile dans le créneau du spectacle de fin d’année. À ce moment-là de l’après-midi, tous les parents seront tournés vers la scène, occupés à filmer avec leur smartphone tendu à bout de bras d’autres smartphones qui filment d’autres smartphones qui filment une chorégraphie improbable à base d’enfants vêtus de papier crépon, de petits doigts qui dansent, de rondes déstructurées et de farandoles plus ou moins synchronisées sur une musique filtrant à travers une sonorisation surpuissante mais mal réglée. Vous avez donc une chance de rester tranquillement à regarder cuire vos grill-wurst et à laisser vos vêtements s’imprégner d’une odeur de graisse et de fumée qui vous rappellera des souvenirs à chaque fois que vous remettrez ce T-shirt pour faire du bricolage. Vérifiez bien le créneau, parce que trente minutes plus tard, il faudra adopter un rythme effréné pour satisfaire un pic de demande lors duquel le moindre faux pas vous exposera aux reproches de votre nouvel ami Pit, préposé tous les ans à la surveillance des cuiseurs de saucisses et dont l’expertise en barbecue est proportionnelle au nombre de Diekirch descendues.
En fait, la meilleure place pourrait bien être celle derrière le stand de vente de nourriture, reposant sur un modèle économique assez invraisemblable, mais qui pourtant fonctionne : les consommateurs paient trois euros la part pour des pâtisseries qu’ils ont préparées eux-mêmes et données gracieusement. Cela donne bonne conscience, donc ce serait dommage de s’en priver. Surtout s’il y a manifestement de quoi nourrir toute l’école pendant une semaine, ce qui n’est pas impossible. Au pire, les enseignants repartiront avec quelques kilos de gâteaux. Cela les consolera des cadeaux de fin d’année reçus par d’éventuels parents qui se seraient vengé du cadeau de fête des mères qui ne leur aurait pas plu. Quel plus beau cadeau qu’un bouquet de chrysanthèmes pour quelqu’un qui a demandé à votre fils de vous offrir un tablier de cuisine ?
Si vous ne vous êtes pas porté candidat à temps pour participer aux activités, et que votre mauvaise conscience vous pousse à vous porter volontaire pour le rangement, réfléchissez-y à deux fois. C’est un défi lancé aux lois de la physique et des probabilités que de parier sur le pliage d’une vingtaine de tables et de bancs à Biergarten sans se casser un doigt ou s’écraser le gros orteil.
« Fête » et « école », l’association de ces deux concepts devrait éveiller les soupçons des moins perspicaces. D’ailleurs, dans le même style, on peut sans doute trouver pire, en rapprochant « fête » et « travail », autrement dit la soirée annuelle d’entreprise. Avec un peu de chance, votre working party tombe d’ailleurs à la même période de l’année. La ressemblance est frappante : on remplace simplement le spectacle de chanson devant le décor peint à la gouache par le discours du grand chef devant son Powerpoint. On transforme le buffet débordant de gâteaux par le stand traiteur où il faut jouer des coudes pour récupérer une mini-brochette. On garde la sono surpuissante et mal réglée, la promiscuité, l’obligation de s’amuser et la fatigue générale. On s’y croirait. L’année prochaine, j’y invite mes enfants !