Un calcul de Carbonbrief estime à quatre milliards de tonnes de CO2 les émissions additionnelles qu’entraînerait jusqu’en 2030 un nouveau bail de Donald Trump à la Maison Blanche, du fait de sa volonté affichée de faire perdurer le règne des énergies fossiles. Pour ceux à qui ces quantités de gaz à effet de serre ne disent rien, le site spécialisé britannique prend soin de préciser qu’elles correspondent à celles que l’Union européenne et le Japon émettent ensemble chaque année. L’analyse prend en compte les intentions de l’ex-président et les compare à celle de l’actuel. Trump a indiqué vouloir revenir sur l’Inflation Reduction Act (IRA), le paquet législatif historique adopté sous la direction de Joe Biden pour décarboner les États-Unis. Même si de telles projections sont approximatives, il est tentant d’affirmer que le retour de l’histrion orange aux manettes serait synonyme de jeu, set et match pour l’apocalypse climatique. Son premier mandat a déjà fait subir un sérieux contrecoup aux efforts mondiaux d’atténuation de la crise climatique, un second risquerait d’être fatal, tant du fait du surplus d’émissions qu’il entraînerait directement que de l’effet démobilisateur que le retrait du front climatique de la première puissance industrielle et militaire aurait sur les autres nations.
Face à cette perspective désespérante, que pouvons-nous, pauvres mortels qui habitons le Vieux Continent et n’avons pas le privilège de voter le 5 novembre, entreprendre en faveur de notre survie ? Nos modestes efforts de décarbonation, eux-mêmes battus en brèche par des coalitions malsaines de tout poil, paraissent dérisoires face au risque qu’un président républicain, pour peu qu’il ait les coudées franches au Congrès, vide de leur substance à partir de 2025 les politiques de l’IRA en faveur des énergies renouvelables et revienne au chant des sirènes du « drill, baby drill ». Les sondages actuels donnent Trump gagnant, avec des marges parfois non négligeables. Comment rester inactif face à ce déraillement de train qui se déroule au ralenti sous nos yeux ? N’y a-t-il vraiment rien que nous ne puissions entreprendre ? Et si chaque habitante ou habitant de l’Union européenne adoptait une électrice ou un électeur des États-Unis, entamant avec elle ou lui un dialogue entre citoyens du monde, à hauteur d’yeux, et tentait de le convaincre de sortir des stéréotypes, allégeances et autres blocages mentaux pour voter en faveur de la vie, y compris celle des non-Américains, lors des élections présidentielles et législatives de novembre ?
« Dear Craig from Cheyenne, Wyoming, I, Jean, write to you today from Luxembourg, the capital of a tiny country in Europe, on behalf of all human beings, to implore you to vote in favour of the survival of humanity in the upcoming American elections. This is not a drill. From Luxembourg to Sofia, in Bulgaria, from Helsinki, Finland, to Lisbon, Portugal, and beyond, we are all very concerned about the outcome of this poll, which could void our worldwide decarbonisation efforts and literally doom us all. Please reply to this email and let me know how you feel about this, I would love to have this conversation with you ».
à ceux qui objecteraient qu’une telle initiative serait une ingérence inacceptable dans les affaires d’un état souverain, il y a lieu d’opposer d’une part l’urgence climatique, qui nous impose d’agir en faveur de notre survie sans attendre et sans nécessairement nous en tenir à toutes les conventions. De l’autre, il y a le fait que l’immixtion étrangère dans les scrutins, à coup de manipulations sophistiquées et insidieuses sur les réseaux sociaux, fait désormais partie, qu’on le veuille ou non, du paysage politique mondial. Une telle opération, menée de manière parfaitement transparente, pour faire connaître aux Américains l’inquiétude existentielle inédite que représente pour nous, Européens, le résultat de ces élections, serait une tentative légitime de redonner un tant soit peu à la crise climatique la place qui devrait être la sienne dans les esprits des Américains.
Les raisons abondent de vouloir tout faire pour éviter une réélection de Trump, qui ne cache pas qu’il veut en finir avec les structures démocratiques américaines pour les remplacer par un mélange répugnant de suprématisme blanc, de patriarcat éculé et d’ultralibéralisme. Il a aussi indiqué vouloir abandonner l’Ukraine à son sort, une façon de servir les Etats baltes à Poutine sur un plateau. Néanmoins, une campagne d’emails centrée sur les risques climatiques aurait l’avantage de pointer, à un moment où la civilisation humaine s’engage dans une vrille en apparence irréversible, un sujet d’inquiétude faisant l’objet d’un consensus de plus en plus large à l’échelle mondiale. Elle signalerait à tous que la polycrise s’emballe et que nous nous approchons de plusieurs points de non-retour. En y participant, tout un chacun aurait l’occasion d’établir une conversation, que l’on peut espérer civilisée, avec des contemporains vivant outre-Atlantique dont les choix l’impacteront fatidiquement. Et ainsi nourrir l’espoir de peser sur le cours des événements, ne serait-ce qu’à la marge.