Dans l’exposition Love is a burning thing, il y a deux ans, on avait découvert des cowboys allumant leur cigarette, dessinés par Simon Demeuter à gros traits colorés. Inspirés des publicités Marlboro des années 1970, ces personnages laissaient apparaître une forme d’ultra virilité proche des standards homoérotiques à la George Quaintance ou Tom of Finland, tout en s’éloignant du réalisme de ces derniers. Dans d’autres séries, l’artiste aborde d’autres symboles traditionnellement associés à la masculinité : le grand-père, les sculptures grecques, les gladiateurs...
La série Charbon, actuellement exposée chez Reuter Bausch, puise dans la même veine. Le personnage du mineur est placé dans l’obscurité, ici un fond bleu nuit. Là où les cowboys étaient éclairés par leur cigarette, les mineurs sont mis en lumière par les lampes des galeries. Dans les deux cas, l’artiste travaille avec des couleurs unies. Les aplats vifs, rose, jaune, vert ou rouge soulignent la simplicité des traits. On se souvient alors aussi des toiles plus abstraites, Windows on Fire qui prouvent que la couleur est l’outil primordial de l’artiste pour évoquer une émotion, une impression, une sensation, une humeur ou un état physique ou mental.
La couleur ne va pas sans le trait. Inspiré par les arts populaires, le cinéma ou la musique, Simon Demeuter, qui a étudié le graphisme, s’intéresse autant aux techniques qu’à la composition : Il se dit ravi d’avoir trouvé de la peinture fluo de qualité pour faire ressortir les lignes tracées au pastel à l’huile et prend confiance en expérimentant diverses techniques. « Je garde une sorte de complexe de ne pas avoir étudié la peinture et de l’avoir explorée seul. Mais plus le temps passe, plus je l’apprécie. »
La pratique picturale de Simon Demeuter est guidée par la recherche d’une simplification extrême des formes, comme des représentations idéalisées, « peuplées de corps doux et robustes », selon les mots de l’artiste. Les visages des mineurs se réduisent à quelques traits pour dire les yeux, la bouche, la moustache, la cigarette, le casque. Un dessin qui évoque Cocteau ou Matisse, que Simon Demeuter cite volontiers : « À travers mes tableaux, je cherche, grâce à mon regard, de faire surgir, d’extraire, des beautés cachées. Il y a des fleurs partout pour qui veut les voir, disait Matisse. Maintenant, je les vois aussi ».
Né en 1991 à Soignies (non loin de La Louvière, en Belgique), Simon Demeuter puise ici dans ses souvenirs d’enfance. Les paysages de cette région sont marqués par son passé minier. La terre noire des terrils est aujourd’hui recouverte de verdure mais ces monticules restent les stigmates d’une industrie autrefois florissante. « Je n’ai jamais eu d’attachement particulier à ma région natale. Son charme échappait à ma perception, alors que d’autres y voyaient une beauté singulière », relate-t-il. Son parcours de vie l’a éloigné de cette terre, ses études l’ont amené à Bruxelles, il travaille aujourd’hui dans un atelier à Paris. « Mais le temps nous rappelle à nos origines, notre passé reste inscrit en nous. » Puisant alors dans une certaine mélancolie d’un autre temps, Simon Demeuter rend hommage à ces hommes et ces femmes, souvent immigrés, qui sont venus en Belgique à la recherche d’une vie meilleure. Malgré une esthétique dépouillée, les personnages sont bien différents les uns des autres, comme une vraie galerie de portraits : une barbe ici, des lèvres épaisses là, un bonnet ou un casque, une pioche ou une pelle, une cigarette, une bouteille ou une pipe.
La nostalgie est souvent présente dans le travail de Simon Demeuter. « Le passage du temps et la disparition inexorable de tout sont des thèmes récurrents dans mes œuvres », explique l’artiste. Il part d’un objet, d’un personnage ou d’un paysage pour le travailler, par couches et par effacement, avec des variations gestuelles, de couleurs ou de tailles, pour retrouver la trace de ses émotions. Ainsi, il parle des œuvres de Munch où il voit « une sorte de mélancolie, de tristesse et de gravité qui m’ont toujours marqué. » Les mineurs sont sortis de dessous la terre, ils nous regardent fièrement.