Les banquiers, via l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL), avaient rendu leur verdict en avril (d'Land, 11/04/2008), sans attendre la position de la Chambre de commerce qui a tardé à prendre ses marques. C’est désormais chose faite depuis la fin du mois de juillet. Les deux organisations sont d’ailleurs au diapason – chose rare en ces derniers temps, comme l’a montré les prises de positions opposées sur le projet de modernisation de la législation bancaire – pour stigmatiser le projet de loi réformant le droit de la concurrence, que l’actuel président du Conseil de la concurrence Thierry Hoscheit a fortement inspiré, sinon écrit pour le compte du ministre de l’Économie et du Commerce extérieur Jeannot Krecké (LSAP). Le futur président aura notamment, si tout se passe comme prévu, le pouvoir de s’autosaisir, ce qu’il n’a pas actuellement et celui aussi de mener des enquêtes sectorielles.
La Chambre des métiers a d’ailleurs elle aussi rejoint les positions de la Chambre de commerce ; leur avis ayant été rédigé en commun. L’opposition du monde des affaires sera-t-elle de nature à compromettre la réforme ou du moins en retarder la mise en œuvre après le scrutin des législatives de juin 2009 ? Rien n’oblige le gouvernement à précipiter les choses, contrairement au scénario de 2004 où une directive européenne avait contraint les autorités à abolir l’antique « office des prix » et mettre en place une double autorité de la concurrence, avec d’une part le Conseil et de l’autre l’Inspection.
L’expérience, et notamment la première grosse affaire de cartel, celui des carreleurs à la cité judiciaire qui s’étaient entendus sur les prix et les marchés publics, a montré les défaillances du système mis en place en 2004, et mis à jour le peu de consistance et de pouvoir d’un président du Conseil de la concurrence. D’où la proposition de réforme qui lui conférera, après l’absorption de l’Inspection de la concurrence par le Conseil pour ne donner plus qu’une seule entité, une puissance de feu autrement plus redoutable que celle dont il est actuellement doté. Les milieux d’affaires craignent que ce pouvoir devienne « exorbitant ». Ce qui n’enchante évidemment personne.
D’autant moins que telle qu’elle est présentée, la réforme n’est pas loin de donner à l’instruction d’une affaire de concurrence par la future autorité unique une connotation d’instruction pénale, les droits de la défense en moins. Ce n’est pas par hasard si les juristes de la Chambre de commerce et de la Chambre des métiers insistent aussi lourdement sur l’importance « du respect des droits fondamentaux de la défense applicables en matière de procédure pénale au cours de l’instruction des affaires par l’autorité de concurrence ». D’où la nécessité pour eux de prévoir, dans la loi, un mode d’emploi précis des enquêtes à instruire, il va sans dire, à charge et à décharge et selon le principe de l’impartialité et indépendance des enquêteurs.
Sans oublier le respect du secret de l’instruction. L’attribution aux enquêteurs du futur Conseil de la concurrence des pouvoirs d’enquête pour établir les faits et recueillir les preuves pose pas mal de soucis aux milieux d’affaires. « Eu égard à l’autonomie de l’autorité de concurrence, souligne l’avis, et eu égard à la toute puissance que les auteurs du projet de loi entendent conférer à cette dernière, les chambres professionnelles s’opposent rigoureusement à l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire aux enquêteurs du conseil de la concurrence. Il importe de souligner à ce titre que les enquêtes pourraient être menées par les membres de l’autorité de concurrence ayant une voix délibérative au Conseil ».
Horreur ! D’où leur souhait de « contenir » le pouvoir du Conseil via l’intervention d’une autorité extérieure. Les enquêtes continueraient donc à se faire sous l’assistance d’officiers de la police judiciaire, soumis à la surveillance du procureur général d’État. De même que les perquisitions devront être soumise au feu vert d’un magistrat. Les milieux d’affaires vont donc faire pression sur le gouvernement pour maintenir le statu quo, c’est-à-dire « une structure duale horizontale », avec des gens égaux (du moins en théorie) tant à l’Inspection qu’au Conseil. Tout au plus sont-ils disposés à accepter une structure « moniste », mais encore faudra-il lui assurer une stricte séparation entre les fonctions d’instruction et de décision. C’était déjà le souci du Conseil d’État en 2004. On attend d’ailleurs encore l’oracle des sages qui déterminera le sort de la réforme du droit de la concurrence.