La longue marche pour améliorer la sécurité de l’aéroport est semée d’obstacles et le ministre Claude Wiseler ne semble pas avoir les yeux en face des trous, avec une vision idyllique du dernier rapport de l’OACI

Ils vont tous bien

d'Lëtzebuerger Land vom 03.08.2012

La Direction de l’aviation civile a fait un grand bout du chemin pour sécuriser l’aéroport de Luxembourg, depuis la publication de la watch list dans laquelle l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) l’avait placée en 2006 et qui avait débouché sur la création dans l’urgence d’une structure aussi hybride que l’Agence luxembourgeoise de la sécurité aérienne, société anonyme qui effectue les contrôles de sécurité à l’aéroport pour le compte de la DAC. Si Claude Wiseler, le ministre du Développement durable et des Infrastructures (CSV) se félicite de ce que la DAC soit aujourd’hui « à la hauteur de ses responsabilités » - ce qui n’est pas entièrement faux -, l’infrastructure encore provinciale du Findel, faite de rafistolages et de copier-coller législatifs n’est pas un modèle aussi crédible au regard des exigences des standards internationaux que les autorités le laissent croire et le conflit larvé entre la DAC d’une part et l’Administration de la navigation aérienne (ANA) de l’autre pourrait bien ressurgir à l’automne, en faisant peser des risques de fermeture de l’aéroport, comme ce fut le cas à la fin de l’année 2011. Tout dépendra de la détermination du ministre à pousser jusqu’au bout les projets de réformes qu’il a laissé entrevoir en janvier dernier, lorsqu’il s’est engagé à « réorienter » les deux administrations phares pour la sécurité aérienne pour en améliorer le fonctionnement et les relations (électriques) et surtout les conformer aux « règles de l’air ». En instituant notamment des lignes de démarcation plus nettes entre la fonction de régulateur et celle de superviseur de la sûreté aérienne. Exactement ce que les experts de l’OACI ont recommandé, avec bien d’autres points, dans leur audit de suivi, lorsqu’ils sont venus l’année dernière au Luxembourg pour constater les progrès enregistrés dans la sécurité aérienne depuis 2006 (Land du 27 avril) et n’y ont pas trouvé la situation au « top » niveau. N’en déplaise d’ailleurs aux responsables de la Direction de l’aviation civile, qui ont tendance à dégainer un peu trop vite lorsqu’ils sont confrontés à la critique. L’actualisation de l’audit de l’OACI, dans une version préliminaire dont l’existence n’est pas à mettre en doute, avait ainsi épinglé une cinquantaine de points de non-conformité de la plateforme aéroportuaire luxembourgeoise par rapport aux standards internationaux de l’aviation civile. Interrogé en avril dernier par le Land sur le contenu du rapport d’audit et d’éventuelles défaillances exhumées par les experts, le ministre du Développement durable et des Infrastructures avait refusé de se prononcer sur la version encore préliminaire de l’audit. Sollicité le 16 juillet dernier dans le cadre d’une question parlementaire par Marc Spautz, député CSV et chef de cette fraction à la Chambre, qui s’enquérait de l’état du rapport d’audit de l’organisation internationale, Claude Wiseler s’est voulu apaisant. Le rapport a désormais été finalisé, sans pour autant que son contenu ait encore été rendu public : « Le dernier rapport  de l’OACI de 2011 n’a pas considéré la DAC comme un obstacle à la sécurité de l’aéroport », assure-t-il brièvement dans sa réponse du 25 juillet rendue publique ce mardi. Il juge par ailleurs « regrettable » que le Land ait confondu dans un artcicle les défaillances identifiées en 2006 comme étant des défaillances du rapport 2011. Il a tort, le taux de défaut en 2011 étant resté important par rapport à 2006. Et le ministre CSV se garde bien de dire combien les experts ont encore relevé, cinq ans après leur premier passage au grand-duché, de non-conformités et quels correctifs les autorités ont-elles apporté dans cet intervalle. Non seulement pour mettre un terme aux « zones grises » dans la législation relative à la sécurité aérienne, mais aussi pour optimiser le fonctionnement des administrations qui en ont la responsabilité. Le fait que la question parlementaire ait été posée plus de trois mois après la parution de l’article du Land relatant l’existence de cet audit fait subodorer qu’elle a probablement été « téléguidée » par le ministre lui-même qui s’était d’ailleurs engagé face à Marc Spautz à lui apporter une réponse (ce qui n’est pas si commun) avant son départ en vacances. Comme si Claude Wiseler avait un agenda caché.
Un premier audit en 2006 (dans le cadre de l’Universal safety oversight audit programme) avait retenu dans son rapport final en tout 74 non-conformités, dont quinze au niveau du service de la navigation (air navigation services) et dix au niveau de l’aérodrome. Or, le rapport d’audit de l’OACI de 2011 (version préliminaire) a constaté assez peu de progrès cinq ans plus tard : sur les 25 non-conformités, seuls quatre manquements ont été levés.
Parmi les défaillances identifiées par l’OACI (en 2006 et en 2011), figurait le fait que la DAC n’ait pas développé de réglementation relative à la sécurité des aérodromes et en particulier pour la certification, pierre d’achoppement entre l’Administration de la navigation aérienne et la Direction de l’aviation civile. La manière dont la DAC a répondu à une non-conformité repérée par les experts de l’organisation internationale de l’aviation civile (annexe 14, volume 1 de la convention de Chicago), en faisant adopter un règlement ministériel fixant « sur le papier » les règles en la matière, est plutôt contestable, dans la mesure où une circulaire ministérielle n’est pas ce qu’il y a de plus adapté pour transposer en droit luxembourgeois des normes internationales applicables en matière de certification des aérodromes. Ne faut-il pas, pour des raisons de sécurité juridique, intégrer ce genre de texte dans une norme juridique nationale ayant une valeur coercitive ? Ça se discute. En tout cas, c'est une chose de décrêter qu'un règlement international est applicable et c'en est une autre de le mettre en œuvre. D’autres défaillances avaient été pointées du doigt par l'OACI en 2011, dont l’absence de dispositions réglementaires relatives au respect des surfaces de limitation d’obstacle établies dans l’espace aérien autour de l’aéroport. Les experts de l’organisation ont d’ailleurs écrit à ce propos dans leur rapport de suivi qu’il n’y avait pas de garantie qu’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures assurera la sécurité des vols. On peut, face à une telle remarque, se poser la question de la crédibilité du Luxembourg, dont les règles de l’air et les dispositions auxquelles sa navigation aérienne sont soumises remontent pour certaines à presque vingt ans.
En affirmant que la DAC est considérée « à la hauteur de ses responsabilités par l’OACI », Claude Wiseler semble déjà baliser la voie pour la rentrée de septembre dans une direction qui fait peu de doutes : le statu quo. Or, le ministre avait promis au mois de janvier dernier, pour désamorcer les tensions entre la DAC et l’ANA, après que la première administration ait fait peser des menaces de ne pas prolonger les licences des contrôleurs et que ces derniers en retour aient brandi le risque de grève, et donc d’une paralysie de l’aéroport, de réformer les deux institutions, notamment en séparant la fonction de régulateur, du ressort de la DAC, de celle de superviseur des opérateurs, dans le giron de l’ANA, sur un modèle qui fonctionne déjà en Belgique. Ce faisant, il aurait mis fin à cette anomalie luxembourgeoise qui attribue ces deux fonctions à une même organisation, source de tension, entre autres autour de la question des certifications des licences des aiguilleurs du ciel.
La réforme de la réglementation sur la sécurité aérienne et de ses structures sera-t-elle aussi « ambitieuse » que ce sur quoi le ministre s'était engagé ? Un groupe de travail fut mis en place cet hiver entre des représentants de la DAC et ceux de l’ANA pour trouver un mode opérationnel qui fasse l’économie d’une querelle de personnes (on sait que les relations étaient devenues impossibles entre le directeur de la DAC Claude Walzting et celui de l’ANA Ender Ulcun). Mais le feu couve toujours entre les deux organisations et la pression reste forte sur Claude Wiseler, comme en témoigne un projet de rapport de 92 pages sur la transposition par le Luxembourg de la réglementation aérienne européenne (Local single sky implementation/LSSIP) pour 2011, dans lequel le directeur de la DAC laisse entendre qu’il ne dispose pas de l’appui suffisant du ministère, ni de l’indépendance nécessaire pour réaliser un contrôle effectif et efficace au niveau de la supervision (ANA) et suggère même que l’État luxembourgeois se ferait grossièrement mener par le bout du nez par certains syndicats de l’aviation pour imposer une réorganisation de la DAC. Réforme synomyme à ses yeux d'une émasculation. La question de la crédibilité du Luxembourg là aussi se pose si ces assertions devaient transparaître dans un rapport officiel. Il semble toutefois qu’un correctif du rapport LSSIP ait été demandé par le ministère du Développement durable à la Direction de l'aviation civile. Claude Wiseler étant parti en vacances, le Land n’a pas eu l’occasion de le vérifier auprès de l’intéressé lui-même. Quant à Claude Waltzing, il a décliné une demande d'entretien pour la remettre au mois de septembre.
Pour autant, Claude Wiseler n’a pas chômé pour faire passer des textes réglementant la sécurité aérienne, tel le règlement grand-ducal du 13 juin 2012 « déterminant l’organisation de l’Administration de la navigation aérienne », un texte de trois pages qui octroie des pouvoirs extrêmement importants aux différents chefs de service (notamment du contrôle de la circulation aérienne, de l’aérodrome, de la communication, de la navigation et de la surveillance, de la météorologie) chargés « d’assurer le maintien des certifications selon les normes nationales, internationales et européennes ». C’est à se demander à quoi sert désormais le directeur de l’ANA ?
Le personnel de la navigation aérienne semble toutefois attendre davantage de leur ministre, notamment qu’il aille jusqu’au bout de la réforme de la sûreté aérienne qu’il a promis l’hiver dernier et sur laquelle il ne dit rien dans la réponse à la question parlementaire de Marc Spautz, si ce n’est qu’il répète qu’il réfléchit à un réaménagement de l’Agence luxembourgeoise de la sécurité aérienne. Pas un mot sur la ségrégation structurelle entre la supervision et la régulation.
La question est donc de savoir si le ministre CSV, connu pour ses positions prudentes, aura la détermination de dépouiller la DAC de certaines de ses prérogatives, comme semble le craindre cette organisation elle-même ? Ce n’est sûrement pas un hasard si, après tant d’années de tergiversations, une représentation du personnel a enfin vu le jour au sein de la Direction de l’aviation civile, après que le ministre lui-même ait fini par donner son aval. Comme si cette administration cherchait à resserrer les rangs et montrait ses muscles face à des responsables politiques qui ont plutôt le ventre mou et qui viennent d’ailleurs d’en faire la démonstration dans l’évolution du dossier Cargolux (lire page 4), compagnie qui assure, via les taxes d’atterrissage qu’elle acquitte chaque année, près des trois quarts des salaires de l’Administration de la navigation aérienne. La crédibilité et la solidité d’une législation sur la sûreté aérienne ne relève pas d’une question de copinage et de passe-droit. La pugnacité et le courage politique sont plus que jamais nécessaires pour assurer un avenir et sa crédibilité à la plateforme aéroportuaire du Findel, qui rêvait, il n’y a pas si longtemps encore, d’accueillir cinq millions de passagers par an.

Véronique Poujol
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