Dimanche dernier sur Radio 100,7, la campagne des Européennes a atteint son point bas (provisoire). « Boutcha, c’est un fake des fascistes de Kiev », a vociféré Jean-Marie Jacoby, vêtu de son hoodie rouge. Ce fut la pire mais pas la seule sortie outrancière du chef de Mir d’Vollék dans le studio : « Eigentlech bass du een Aarsch ! », « du Fläschekapp ! », hurlait-il à l’encontre de Frank Engel (Fokus). Jacoby est porteur d’une carte de journaliste, salarié de la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek. (Son rédacteur en chef, Ali Ruckert, assure que Jacoby n’écrirait plus que sur des sujets ne touchant pas à ses « théories du complot ».) Avec Peter Freitag, Jean-Marie Jacoby tente de prolonger ses « 15 minutes of fame » parmi la frange la plus conspirationniste des antivax. Il s’est réinventé en défenseur de Poutine… et en expert climatique : « Le CO2 n’est pas un problème ». La protection du climat serait « Schissi », expliquait-il sur RTL-Radio. Le réchauffement serait causé par l’énergie solaire, « den Afloss vun der Jupiterbunn an änlech lëschteg Saachen… ». Pour étayer ces thèses, le programme de Mir d’Vollek se réfère au tome 4 de Meyers Konversations-Lexikon, édition de 1844.
Treize partis concourent aux Européennes. Le pullulement de micro-listes n’est pas un phénomène purement luxembourgeois. En France, 37 listes comptent utiliser le scrutin comme vitrine médiatique, d’« Esperanto Langue Commune » à « Forteresse Europe – Liste d’unité nationaliste ». En Allemagne, 35 listes se présentent, dont la « Partei für schulmedizinische Verjüngungsforschung ». Ce foisonnement d’extravagances politiques est lié à la facilité de déposer des listes. Au Luxembourg, il suffit de trouver six candidats et de récolter 250 signatures. Pour toucher des aides publiques, les partis doivent atteindre deux pour cent des voix aux Européennes : Ils ont alors droit à 5 000 euros, une somme qui monte jusqu’à 74 500 euros pour les listes dépassant les 25 pour cent. (Une définition quasi-officielle de micro-parti serait donc une liste recueillant moins de deux pour cent.)
David Foka a tenté sa chance au LSAP, puis chez les Verts, sans voir sa carrière politique avancer. Dépité, le Camerouno-Allemand a fini par créer son propre parti, Zesummen – d’Bréck. On y retrouve un autre frustré des partis établis, le fonctionnaire européen Athanase Popov. En 2019, il avait posé sa candidature pour devenir président des Verts (tout comme David Gawlik qui a fini, lui, sur la liste ADR pour les législatives). Le programme de Zesummen – d’Bréck est très court (14 pages) et très vague. Le parti veut promouvoir « un humanisme universel », évoque en passant « un projet fédéral cohérent d’États-Unis d’Europe » et propose de « créer une zone tampon au Sahel, laquelle sera la Silicon Valley africaine ». Sur Radio 100,7, David Foka a estimé que c’était « une grave erreur de se tourner vers les voitures électriques », évoquant les enfants congolais exploités dans les mines de cobalt. « La solution miracle », ce serait la « Grande muraille verte africaine ». (Le projet de verdissement entre le Sahara et le Sahel s’enlise pourtant depuis quelques années.)
L’ADR a produit une floppée de spin-offs : La Biergerlëscht (Aly Jaerling), la PID (Jean Colombera), Liberté-Fräiheet (Roy Reding). Déi Konservativ, le club de supporters de Joe Thein, est le seul à se représenter encore et encore aux élections. (En octobre dernier, le parti avait obtenu 0,37 pour cent des voix dans la circo Sud.) Entièrement imprimé en majuscules, le programme se veut « conservateur-patriotique », et mélange l’apologie des « marchés libres » avec la célébration d’un nébuleux « owendländesche Kulturkosmos ». L’UE ce serait le « centralisme et le socialisme », pire une politique d’« économie planifiée communiste », écrit Thein, qui saupoudre le tout de références antivax et d’une critique des sanctions économiques contre la Russie. À ce bricolage, le populisme sert de ciment. Thein oppose « dat ordinärt Vollek », ces « gesetzestrei, rechtschaffend Bierger », au « biergerfriemen politeschen Establishment ».
Le parti « paneuropéen »Volt a fini dernier aux législatives d’octobre : 0,24 pour cent à l’Est et 0,34 pour cent au Sud. Son programme pour les législatives n’aura sans doute pas aidé : « Le Luxembourg aurait un intérêt économique à stocker les déchets nucléaires d’autres pays dans un dépôt final », y lisait-on à la page 110. Comme les Pirates, Volt est une franchise, mais contrairement à ces premiers, elle n’a pas percé au Luxembourg. (Volt compte deux députés aux Pays-Bas et un en Bulgarie.) Son programme pour les Européennes est le même dans tous les pays. Il s’avère proche de la gauche libérale, avec un edge fédéraliste. Mais la présence de Volt dans la campagne (tout comme celle de l’équipe de David Foka) a un avantage : la langue française rentre enfin dans le débat politique, après que son usage au Parlement est tombé en désuétude au cours des années 1980.
Le record a été atteint en 1989 : Seize listes se présentaient alors aux législatives. La Revue se plaignait d’une « regelrechte Kandidaten- und Listenschwemme » qui aurait dégradé la campagne en « farce ». Or, c’est oublier qu’à partir des micro-partis peuvent émerger des partis de gouvernement. En 1979, les maoïstes lancèrent leur « Alternativ Lëscht – Wiert Iech! ». Elle recueillit à peine un pour cent aux législatives. (Petite consolation pour les maos : C’était trois fois plus que la liste trotskiste.) « Jedoch kann man festhalten, dass mit der Alternativ Lëscht der erste Grundstein für die Bildung einer grünen Partei in Luxemburg gelegt wurde », notait Frédéric Krier en 2008 dans Forum. L’Histoire est imprévisible.