Chroniques de l’urgence

Adieu croissance du PIB, bonjour décarbonation

d'Lëtzebuerger Land du 17.04.2020

Lorsqu’il s’agit de chiffrer l’impact de la crise du coronavirus sur l’économie, la plupart des médias continuent de mettre en avant des analyses libellées en points de PIB perdus. Le Fonds monétaire international a ainsi prédit cette semaine que le produit intérieur brut mondial se contracterait en 2020 de trois pour cent. Du jamais vu – un scénario d’horreur qui devrait frapper de plein fouet les pays industrialisés sans pour autant épargner ceux du Sud. Nul doute que, privés de la croissance qui leur servait jusqu’ici d’étoile polaire, nos économies risquent fort de se mettre à dériver dans les tumultes causés par le chômage de masse et la dislocation des chaînes d’approvisionnement agricoles et industrielles.

Or, le moment est venu de considérer ce qui nous arrive non pas sous l’angle de points de PIB perdus, mais sous celui de notre survie collective. Nous savions déjà que le PIB est un indicateur pervers. La crise du Covid-19 nous aide à prendre conscience que lorsque des centaines de milliers de vies humaines sont en jeu, il n’y a pas de produit intérieur qui tienne. Le site britannique Carbon Brief vient de publier une analyse selon laquelle elle pourrait causer cette année une chute des émissions globales de CO2 d’origine humaine de plus de quatre pour cent. Un record absolu depuis que les hommes se sont mis à brûler charbon, pétrole et gaz pour remplacer esclaves et animaux de trait. Même si ces projections sont entachées d’immenses incertitudes, elles font l’objet d’un relatif consensus parmi les experts. Et gardons à l’esprit que malgré cette contraction significative, la concentration de CO2 dans l’atmosphère va de toute façon continuer d’augmenter cette année et les suivantes, et ce tant que nous ne serons pas parvenus à la neutralité carbone.

S’agit-il dès lors d’une crise salutaire qui nous met sur la bonne voie de la décarbonation ? Non, c’est une crise soudaine, aveugle, cruelle, qui aggrave les inégalités et risque d’exacerber les réflexes les plus rétrogrades dans nos sociétés. Certainement pas la décarbonation raisonnée, juste et massive à laquelle nous devrions aspirer si l’avenir de nos enfants nous importait.

Malgré tout, alors que nous nous trouvons à la croisée des chemins, le calcul de Carbon Brief présente l’avantage de nous montrer la taille de l’enjeu. Pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, limiter l’augmentation de la température mondiale à deux ou, mieux, 1,5 degrés, c’est à raison d’au moins six pour cent que nous devrions réduire nos émissions chaque année de cette décennie. Même s’il ne reflète pas les bénéfices qu’on est en droit d’attendre d’une décarbonation bien organisée et à grande échelle, le « great lockdown », comme l’appelle le FMI en écho à la dépression de 1929-30, nous donne du moins une idée de l’ampleur de l’effort qui nous attend.

Jean Lasar
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