Les médias ont célébré l’impact du coronavirus sur les émissions polluantes en Chine : les mesures prises pour freiner sa propagation ont ralenti l’économie, réduisant considérablement les rejets de CO2 et de particules. On peut s’en réjouir si l’on veut, mais autant garder à l’esprit que ce n’est qu’un effet passager. Sur un autre plan, la pandémie qui étreint le globe nous intime d’ouvrir les yeux sur une double dimension, inquiétante, que la pandémie et le changement climatique ont en commun : celle d’une perception retardée de leurs impacts, et la nature exponentielle de ceux-ci.
Sur Twitter, la biologiste Elizabeth Sawin souligne que regarder les données publiées sur les cas de coronavirus dans le monde est comme regarder une étoile dans le ciel nocturne : « Ce qu’on voit n’est jamais une image actuelle, mais un instantané d’événements du passé ».
L’analogie est précieuse même si ces retards relèvent d’ordres de grandeur très différents : des jours ou des semaines pour la maladie, des années, des décennies voire des siècles pour la crise climatique.
Dans le cas de la maladie, les délais relèvent de la biologie (le temps qui s’écoule entre une infection et l’apparition de symptômes), du social (le temps que prend l’information sur les cas d’infection pour être publiée ou pour que le public adopte de nouvelles habitudes) ou de la réponse apportée (le temps qu’il faut pour identifier un nouveau virus ou mettre au point les mesures pour endiguer sa diffusion).
« Les délais peuvent être raccourcis grâce à un partage précoce et adéquat de l’information, à des mesures de préparation ou à l’intégration de capacités additionnelles dans les systèmes de réponse. Et ils sont rallongés par le mensonge, la confusion, la mauvaise gestion et des systèmes déjà sous pression », détaille Sawin, poursuivant : « Je crains que nous n’apprenions du coronavirus ce que la pensée systémique nous enseigne déjà : lorsque nous sommes confrontés à un problème qui peut croître exponentiellement, le délai est notre ennemi ».
Les facteurs de délais physiques et sociétaux ne manquent pas dans le système climatique : durée de vie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, durée de vie escomptée des infrastructures, durée pour qu’une concentration accrue de CO2 se traduise par une hausse du niveau des océans, pour les premiers ; le temps requis pour la prise de conscience du problème par le public, pour construire des coalitions politiques, pour concevoir et déployer de nouvelles infrastructures et cetera, pour les seconds.
Face à ces phénomènes exponentiels de réaction en chaîne et à des effets de différé qui masquent des impacts déjà ancrés dans la réalité physique, à chacun d’entre nous de se familiariser de toute urgence avec ces dynamiques. Sous peine, tant pour le virus que pour le climat, de voir leurs impacts s’aggraver de manière irréversible.