Chroniques de l’urgence

Des subventions abyssales et occultes

d'Lëtzebuerger Land du 06.03.2020

Subventionner les énergies renouvelables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Vous n’y pensez pas, c’est le marché, modèle d’efficacité, qui doit déterminer la meilleure manière de produire de l’électricité. Favoriser la mobilité électrique à coup d’abattements fiscaux ? Certainement pas, ce sont l’offre et de la demande qui doivent déterminer le meilleur moyen de nous déplacer sans polluer. « We shouldn’t pick the winners », telle est, aux États-Unis, la fin de non-recevoir opposée par les législateurs républicains à ceux qui suggèrent des politiques volontaristes de sortie des énergies fossiles. Une étude du Fonds monétaire international publiée l’an dernier sur les subventions accordées à l’échelle mondiale au charbon, au pétrole et au gaz, est des plus utiles pour comprendre à quel point ce dogme du « level playing field » relève du déni de réalité en matière d’action climatique.

Les auteurs de cette étude définissent comme subvention le volume de consommation de ces produits multiplié par l’écart entre leurs prix effectifs, accises comprises, et des prix « efficaces », c’est-à-dire prenant en compte, notamment, les coûts environnementaux et d’approvisionnement liés à leur utilisation. En 2015, le montant global des subventions ainsi calculées s’élevait à 4,7 milliers de milliards de dollars, soit 6,3 pour cent du PIB mondial. Pour 2017, leurs projections tablent sur une hausse de ces subventions à 5,2 milliers de milliards, soit 6,5 pour cent du PIB. La Chine mène cette danse infernale, à raison de 1 400 milliards, suivie des États-Unis, 649 milliards – soit davantage que le budget du Pentagone –, de la Russie (551 milliards), de l’Union européenne (289 milliards) et de l’Inde (209 milliards). 85 pour cent de ces subventions vont au charbon et au pétrole.

« Des prix efficaces en 2015 auraient réduit les émissions globales de carbone de 28 pour cent et les décès dus à la pollution atmosphérique de 46 pour cent, et augmenté les revenus des États à hauteur de 3,8 pour cent du PIB », assènent les auteurs.

Bien que leur méthodologie repose, faute de statistiques ad hoc, sur un certain nombre de partis pris et d’approximations, elle a le mérite de donner un ordre de grandeur pour le montant abyssal des subventions favorisant de facto les énergies fossiles. Appliquée au Luxembourg, elle montre que la discussion sur les accises ridiculement basses sur les produits pétroliers, bien que légitime, masque des distorsions bien plus graves.

Cette approche peut aider les défenseurs du climat à mieux articuler leurs priorités. Se battre pour obtenir des subventions pour le solaire et le photovoltaïque, c’est bien. Identifier les multiples aides occultes dont bénéficient les combustibles fossiles, pour les éliminer, c’est mieux. En plus de libérer de précieuses ressources budgétaires, cela permet aux renouvelables, dont les coûts par kilowattheure sont en forte baisse depuis des années, de se défendre encore mieux face aux filières fossiles.

Jean Lasar
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