Le 28 Avril 2017, aux Rotondes, se lançait la première édition du Luxembourg Street Photography Festival, sous le parrainage du célèbre « photographe du réel » Jean-Christophe Béchet. Rebaptisé Light Leaks Festival, il représente désormais une photographie en constante redéfinition. Devenu, au fil du temps, un rendez-vous incontournable pour les scènes de la photographie professionnelle et amateur, du local à l’international, le Light Leaks Festival est une grande réussite organisationnelle.
« Pour beaucoup ici, la photographie n’est pas une activité professionnelle, mais une activité artistique », explique d’entrée Paulo Jorge Lobo, l’un des piliers du collectif Street Photography Luxembourg (SPL). Pourtant, quoi qu’il en soit, tous et toutes exposé.e.s ici sur les cimaises de cette rotonde montrent une vision propre, une démarche. Chacun ici, parmi les chanceux sélectionnés de cette exposition, a un mur à investir. Un mur pour raconter, montrer, s’épancher photographiquement. L’exposition du festival est un moment marquant, « cœur de l’événement », mettant en avant le travail de photographes membres du collectif SPL, et d’autres professionnels et amateurs du Luxembourg ou d’ailleurs. L’ensemble de l’exposition est franchement appréciable. Le commissariat est très cohérent et la grande qualité des séries photographiques exposées touchent, jusqu’à se rendre compte que la street photography n’est pas morte de la multiplication des « soi-disant photographes », ceux qui photographient leur mariage à l’Iphone, par exemple. On « flashe » ainsi facilement sur chaque mur, notamment pour leurs profondes déclinaisons street-photographiques…
Celui de Romain Gamba ne nous est pas inconnu. On le suit sur Instagram depuis toujours, lui qui aime les culs de bagnoles autant que les high kicks, son travail nous fait voyager dans un certain folklore, moderne a contrario du terme. Ce dernier rappelant les couleurs et atmosphères des voyages de Véronique Fixmer ou Catalin Burlacu, dans une tessiture plus traditionnelle, proche d’une « photographie du monde ». À l’instar aussi de Sana Murad et Massica Bentahar, l’une racontant l’Inde de son père, l’autre décrivant la rue de l’Algérie, dans un format plus proche d’ensoleillés et nostalgiques reportages. Gloria Estevan, dans un autre voyage, s’empare, elle, des paysages de la région de Valence, signant une photo d’un autre temps. Tom Herz s’adonne à la rue, strictement, jouant et nous amusant avec des touches de couleur vives. Par ailleurs, Patrick Hoffmann relate une histoire de la nuit sous musique et stimulant, ouvrant aux reportages que Vice pouvait faire jadis. Gilles Kayser nous parle du quartier de la Gare, ses rues évidemment, pleines de gens, beaux et bruts. Véronique Kolber, qui nous a conquis par le passé, montre, elle, une photo de rue qui répond à tous les codes : vie, routine, mouvement, spontanéité, instants volés… Une série qui répond à celle de Eduard Maiterth, avec « un piqué » différent. Vito Labalestra frappe l’œil de photographies surchargées de détails qu’on pourrait admirer mille heures durant. C’est incisif et très narratif, un petit banger dans cette expo. Liz Lambert répond à l’exercice différemment, proposant une photo d’une nature très contemporaine, entre public et intime, sorte de jamais vu dans le monde de « la street ». Phil Deken, sobre et efficace dans un noir et blanc usant des ombres avec maitrise. Ailleurs encore, quand Tom Lucas s’arrête sur l’urbanisme monotone de notre quotidien, Olivier Thull lui répond par des photos souvent de gris-vêtues, pour que Cédric Weber dialogue également dans ce sens. Viktor Wittal en subtilité, montre la rue de nuit telles les images d’un polar. Tandis que Little Box Collective embarque son spectateur dans des images drôles et originales, triées avec soins. Essentiel, les jeunes du Lycée Aline Mayrisch et celui des Arts et Métiers, s’adonne à l’exercice avec brio, formulant un véritable avenir à la photo de rue. Dirk Mevis et Marc Erpelding, eux, récitent une histoire de stock-car, tout aussi quotidienne pour certain.e.s. Dans un style très singulier, Giulia Thinnes shoote pour se répondre à elle-même, offrant à voir une série qui se traverse vite au premier regard, et bouleverse longuement au second passage.
Et puis, on s’étonne d’être pris d’un immense coup de cœur pour les photos de Pierre Gély-Fort. Lui qui cite Henri Cartier-Bresson pour s’introduire en tant que photographe et finit par expliquer vouloir être au plus proche des gens, tout en instiguant la surprise dans sa photographie. Là, tout est dit. Son travail photographique dans un noir si profond et un blanc si pur nous place dans une proximité tendre et troublante face aux sujets captés, tous des personnes, de la rue, qui parfois posent, parfois se laissent aller devant l’appareil, et surtout « autorisent » visiblement une photo, la photo. Là est « le truc » de certains photographes qui font se livrer les photographiés comme s’ils les connaissaient intérieurement.
En sursaut à cette exposition intérieure, le photographe russe Nikita Teryoshin livre une poignée de ses photos, sorties de sa collection Nothing Personal – the back office of war, à l’extérieur, sur bâche, comme pour capter les badauds de la rue, justement. Ces photos sont évidemment surprenantes, puissantes et tristement vraies, et de leur force, nous vient à l’esprit en voyant l’entière série, est la question des élus dans cette discipline exigeante, où pourtant, tout le monde est un potentiel artiste. « Parfois c’est un coup de chance », avoue même Lobo. Mais ce n’est pas tant l’objet du festival que d’adouber, mais plutôt d’introduire cette culture de la photo de rue aux quidams. C’était en tout cas les objectifs de la poignée de membres des débuts du collectif en 2012, qui aujourd’hui exulte et permet ce genre d’événements si rare et si nécessaire. 600 personnes sont venues au vernissage, dont quelques grands noms de la photo luxembourgeoise, tel que Christof Weber, Jessica Theis, Marc Wilwert, cité.e.s avec joie par Lobo. C’est dire l’intérêt pour cette photo qui n’a foncièrement que peu de codes si ce n’est « se faire dans l’espace public, avec des humains, et de façon spontanée ». Bien que, comme l’admet Lobo, le festival ne s’arrête pas là, « il fallait faire évoluer notre titre et nos thématiques car nous allions plus loin, comme l’avait fait remarquer Jane Evelyn Atwood lors de sa venue en 2018, qui avait débuté sa conférence en disant ne pas faire de ‘photographie de rue’ ».
Depuis les pionniers Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Sabine Weiss, Saul Leiter, Vivian Maier ou encore Gary Winogrand, l’explosion du numérique et d’Internet a fait devenir la photo de rue, la photographie de Monsieur-tout-le-monde. La discipline connaît autant de pratiquants qu’il existe de téléphone sur terre, et aussi ancienne soit-elle, la photographie de rue mute, se transforme aux grès des vacillements de ce monde de fous, en témoignent les images que nous aurons ingurgité ce jour. Car c’est l’image qui fait objet d’attention, toujours, œuvre par définition, témoignage par excellence. Ainsi se côtoie aux Rotondes, depuis ces nombreuses éditions : photographes passionnés, artistes, et ceux, privilégiés parmi nous tou.te.s, qui vivent du médium. Chaque année, le Light Leaks Festival rassemble, telle une grande messe au cœur du petit pays, pour faire se rencontrer toutes les photographies issues de la rue. Dans une célébration de la vie citadine, l’événement fait voir le travail de photographes de la rue, du photojournalisme et de la photographie documentaire, tou.te.s narrant des histoires de nos quotidiens, à travers un boitier, boite à image.