Grande région

Extravagant Julian Rosefeldt

d'Lëtzebuerger Land vom 14.07.2023

La Völkingler Hütte à Völklingen, juste à côté de Sarrebruck, accueille l’exposition de Julian Rosefeldt When we are gone. Souvenir vivace de cette extraordinaire exposition de l’artiste vue à Berlin quelques années auparavant présentant le film In the land of the drought que l’on peut retrouver dans le cadre de cette exposition. Une salle bercée de noir, un écran au fond projetant d’incroyables ailleurs et l’attente impatiente, presque religieuse, par le public de l’art de ce qui allait suivre. Plongée cette fois-ci dans d’autres fantasmagories au travers de trois films distincts.

À commencer par un premier film projeté sur grand écran et traduisant l’atmosphère si singulière de l’artiste entre scène de cabaret, corps nus et corps habillés, le tout en noir et blanc : Deep Gold (2013/2014). Un homme en complet noir s’invite dans une scène désolée, un Berlin presque déserté, comme après une guerre ou une apocalypse. Des images presque surréalistes surgissent à l’instar de ce ballon blanc que l’on voit jaillir au ciel, comme au milieu de nulle part, et qu’il regarde un temps. Puis il entre dans ce cabaret où circulent des gens nus, d’autres habillés, cabaret qui rappelle les représentations que l’on peut se faire des Années folles. Grisé par l’atmosphère du lieu, le personnage que l’on suit entre puis ressort toujours aussi échevelé. À la représentation esthétisante en noir et blanc proposée s’oppose les fantasmagories de l’artiste. Le spectateur navigue entre rêve et réalité. Deep Gold perpétue l’art cinématographique surréaliste de Luis Buñuel. Entre percussions et tango, la présence de la chanteuse Peaches et des airs de Wagner, ce qui pourrait aussi être interprété comme un revival des années 1920 berlinoises est autant une utopie qu’une danse au bord du gouffre.

C’est également cette impression de singulière étrangeté qui caractérise le film projeté dans l’emplacement du fond de l’usine de la Völklingler Hütte. Le dispositif propose quatre écrans : un, au fond et trois de côté. Les rangées bien ordonnées d’un supermarché se présentent dans un premier temps au spectateur avant que, de manière tout aussi surréaliste que dans Deep Gold, un tigre investisse les lieux au fond de l’une des rangées, de manière surprenante. Est-ce que l’animal symbolise le retour d’une forme de nature dans un quotidien très organisé et merchandisé ? Prouesse artistique, Euphoria (2016-2022) se demande pourquoi le capitalisme semble à ce jour sans alternative. Dans ce véritable film-opéra, le rythme est donné par des batteurs (les écrans de côté) et un chœur de jeunes. Transposé par des images puissantes, le collage de textes déroule des citations allant d’Adorno à Virginie Despentes et Einstein en passant par Michel Houellebecq et Snoop Dogg.

Les films de Julian Rosefeldt prennent également parfois une tournure plus historique comme dans Meine Kunst Kriegt Hier Zu Fressen (2002), réalisé en collaboration avec Piero Steinle. La guerre en images constitue la trame de ce film qui rend hommage au peintre Max Beckmann. Les images en noir et blanc voient défiler des soldats comme autant de points à l’horizon pris dans une immensité fuyante et collective, « eux qu’on retrouve au loin désarmés incertains » dirait Aragon chanté par Brassens. L’artiste a utilisé des archives historiques montrant les batailles de la Première Guerre mondiale mais aussi les combats aériens de la Seconde Guerre mondiale et la ville de New York. Stationendrama le collage embrasse le vingtième siècle. Où l’on se rappelle que la guerre, longtemps décor du sièce, a contribué à l’assombrir considérablement. Ces différents films attestent de l’importance du mouvement chez l’artiste qu’il parvient à rendre y compris dans toutes ses formes d’extravagance ou de démesure collective.

Julian Rosefeldt, When we are gone jusqu’au 3 septembre au Weltkulturerbe Völklinger Hütte

Florence Lhote
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