Les ouvriers d’Ampacet auraient-ils gagné la guerre, pour perdre la paix ? Le 21 décembre, l’OGBL signait un accord avec la direction, qui mettait fin à 25 jours de grève et rétablissait une convention collective. Le 8 janvier, six salariés d’Ampacet ont reçu une lettre de licenciement « pour raisons économiques ». Ils avaient tous les six activement participé au piquet de grève. La nouvelle a constitué un choc pour les ouvriers. Quelques jours plus tôt, la direction les avait réunis pour leur souhaiter une bonne année, leur promettre de regarder de l’avant et les prier de ne pas s’en prendre aux collègues non-grévistes.
« La direction a dû se sentir frustrée par cette défaite », estime la présidente de la délégation (OGBL), Saliha Belesgaa. Elle pointe qu’aucun non-gréviste ne figure parmi les six licenciés. « C’était juste une vengeance », tranche de son côté Floris Emmanuel, lui aussi délégué OGBL. Par la voix de son avocat, Ampacet dément. L’usine vient de passer de 4,5 à trois équipes, supprimant le travail de samedi et de dimanche. Il y aurait donc eu des effectifs en trop, et on n’aurait nullement visé les grévistes en particulier. (La grève avait été suivie par quarante des soixante salariés d’Ampacet ; statistiquement, la chance que les licenciements touchent des grévistes était donc élevée.) Une réunion d’information avec le personnel aurait d’ailleurs été organisée dès le 8 décembre pour annoncer une réduction prochaine de la production. Même si l’usine de Dudelange affichait un bénéfice de 3,67 millions d’euros en 2022, la direction parlait d’une année 2023 plutôt morose. Comme le Land l’écrivait en décembre déjà, Ampacet avait mis une partie de ses salariés au chômage partiel.
L’accord signé entre l’OGBL et Ampacet prévoyait « une garantie de paix sociale », censée protéger les grévistes d’éventuelles représailles de la direction. Les ouvriers sont retournés à l’usine « la tête haute », se souvient Saliha Belesgaa : « Pendant le piquet de grève, on a appris à se connaître. On a appris la solidarité dans le travail. » Emmanuel Floris évoque, lui aussi, « une aventure humaine » ; si c’était à refaire, il n’hésiterait pas. La cohésion d’équipe semble en effet toujours forte. En mars, la liste de l’OGBL a fait le plein chez Ampacet, remportant quatre mandats de délégué sur quatre. (La liste « neutre », sur laquelle se présentaient quelques non-grévistes, n’en a décroché aucun.) Vis-à-vis de la direction par contre, l’ambiance aurait été « un peu lourde », admet Belesgaa. La nouvelle des licenciements aurait fini par « plomber » l’atmosphère, dit Floris : « Là, ils sont en train de nous dégoûter tous ».
Parmi les ouvriers congédiés, le plus âgé a 57 ans, dont 32 passés chez Ampacet, alors que deux autres ont plus de dix années d’ancienneté. En parallèle, une demi-douzaine d’ex-grévistes ont démissionné, certains avaient commencé à chercher un nouvel emploi tout en assurant une présence aux piquets. Les licenciements, démissions et arrêts maladie forceraient Ampacet à avoir recours à de nombreux intérimaires, relate Belesgaa : « Là on tourne à plein régime. Une nouvelle ligne de production a commencé en mars. On se demande où elle est, la raison économique… »
La grève chez le producteur de granulés plastique est entrée dans la légende dorée de l’OGBL. Le conflit n’avait initialement pas arrangé le syndicat. Mais en décrétant la non-conciliation (un précédent dans l’histoire sociale récente), la direction d’Ampacet lui avait forcé la main. Le syndicat ne pouvait pas ne pas réagir s’il souhaitait garder la face. Il a mobilisé beaucoup de moyens (et beaucoup de ses permanents) pour assurer et animer le piquet à l’entrée de l’usine, et ceci 24 heures sur 24, par un temps glacial.
L’OGBL a beaucoup communiqué sur la « grève victorieuse » chez Ampacet. Dans son discours du 1er mai, Nora Back a parlé du « conflit de travail le plus dur que nous ayons jamais connu ». C’est presqu’avec nostalgie qu’elle s’en est remémorée dans le Tageblatt : « So hart die Tage in der Kälte und bei Schnee und Regen auch waren : Wir würden es nochmal machen ». Sur la suite des événements, elle a préféré garder un silence pudique. Par peur de générer de la mauvaise pub, sans doute.
En mars, Nora Back admettait ainsi face au Land que l’OGBL ne voulait pas, en pleine campagne des élections sociales, envoyer le mauvais signal ; à savoir qu’un conflit de travail exposait les salariés à un risque de répression. Plutôt que de faire monter la pression publique par des communiqués et piquets, le syndicat a opté pour la discrète voie de la judiciarisation. Les six personnes licenciées seraient « en contact permanent » avec les juristes de l’OGBL qui étudieraient les possibilités de recours, explique-t-on cette semaine dans la centrale syndicale. Saliha Belesgaa adopte la même ligne d’argumentation. Elle accorderait sa « confiance totale » à l’OGBL. Il faudrait désormais assurer « une certaine sérénité ».