Dès le générique, le spectateur est plongé dans un tourbillon d’images en noir et blanc : l’avion de Charles Lindbergh en partance pour l’Europe, de pauvres bougres de la Grande Dépression, ou encore un meeting de Roosevelt... Puis un drapeau américain est hissé aux côtés de celui de l’Allemagne nationale-socialiste, avant que de sinistres assemblées et parades hitlériennes ne viennent conclure cette terrible entrée en matière. Ironiquement apposée sur ces images d’archives, une chanson évoque un avenir radieux, celui du progrès technique qui façonna les premières décennies du XXe siècle. Ainsi sommes-nous introduits dans le vif du sujet de la nouvelle série diffusée par HBO depuis le 17 mars dernier. Cette nouvelle création que l’on doit à Ed Burns et David Simon, auteur de fameuses séries sociologiques scannant la société américaine (The Wire, Treme, The Deuce), s’intitule The Plot against America. Il s’agit de la fidèle adaptation du roman uchronique de Philip Roth paru en France en 2004 (Le complot contre l’Amérique, éditions Gallimard). Une hypothèse sombre, toute dystopique, fonde cette mini-série de six épisodes, où se mêlent réalité et fiction, faits historiques et conjecture sur le sort des États-Unis au seuil de la Seconde Guerre mondiale. Une voie littéraire dans laquelle l’écrivain américain fut précédé par Sinclair Lewis (It Can’t Happen here, 1935) ou Philip K. Dick, qui prédisait un scénario similaire dans The Master in the High Castle (1962).
Toute hypothèse, on le sait, constitue une altération de la réalité. Celle sur laquelle reposent le récit de Roth et le feuilleton TV qui s’en inspire est terrifiante car elle postule, face à Roosevelt, la victoire de Charles Lindbergh aux élections présidentielles de 1940. L’exploit aérien de « Lindy », comme on le surnomme chaleureusement aux États-Unis, demeure dans tous les esprits : en 1927, il est le premier à réaliser sans escale une traversée de l’Atlantique, reliant New York à Paris en à peine 33 heures de vol. L’aviateur est alors célébré dans le monde entier, jusqu’en Allemagne où il reçoit, le 28 juillet 1936, une récompense honorifique des mains d’Hermann Göring... Tout cela est véridique, historiquement établi. Du côté fictionnel cette fois-ci, la victoire électorale de Lindbergh en 1940 – et ses conséquences sur la communauté juive comme sur l’ensemble de la nation américaine – constitue l’intrigue principale du récit. Une arrivée au pouvoir angoissante montrée et ressentie de l’intérieur, à partir d’une famille juive de Newark (État du New-Jersey), d’où est originaire Philip Roth. Acte de montage s’il en est, l’élection américaine est mise en rapport avec la « Guerre éclair » lancée le 10 mai 1940 par Hitler contre ses voisins directs : la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, puis la France tombant tour à tour sous les assauts puissants de l’armée allemande.
Loin d’être délirant, un tel scénario repose au contraire sur un argumentaire plausible. Non seulement ce pionnier de l’aviation jouissait d’un certain crédit au sein de la population en tant que héros national, ce qui aurait pu faire de lui un candidat redoutable en politique. Lindbergh ne se privera d’ailleurs pas de prendre position en faveur d’une politique isolationniste ; le slogan de l’« America First » tant vanté par Trump fut d’ailleurs emprunté à Charles Lindbergh, si bien que c’est dans ce parallèle que loge la charge critique de cette série réalisée sous sa présidence. Surtout, Lindbergh sera suspecté d’antisémitisme après un discours houleux prononcé en 1941 à Des Moines lors d’un rassemblement de l’America First Committee (AFC) dans lequel il stigmatisait les Britanniques et les Juifs pour justifier son refus d’engager une guerre contre l’Allemagne nazie. Avant qu’il ne révise son jugement lors de l’attaque de Pearl Harbor. Toute ressemblance avec la politique américaine actuelle est évidemment fortuite.