Chroniques de l’urgence

Il n’est pas trop tard

d'Lëtzebuerger Land vom 14.06.2019

Il est tentant de se laisser gagner par le fatalisme face aux sombres prédictions des scientifiques qui étudient le climat terrestre (la tentation est forte aussi de les ignorer, voire de nier leurs conclusions, mais ceux qui choisissent cette voie sont heureusement de moins en moins nombreux). Il importe cependant de garder à l’esprit que nous avons toujours le choix, qu’il n’est pas trop tard. Et ce pour plusieurs raisons.

La première est que les attitudes fatalistes (« c’est foutu », « il n’y a plus rien à faire », « c’est à cause de la surpopulation », « et tant que la Chine… », et cetera) sont précisément celles que cherchent à induire les tenants du statu quo fossile. Si nous nous laissons persuader que quels que soient nos efforts

de décarbonisation, ceux-ci seront vains, les pétrocrates auront gagné, nous engluant dans les viscosités de leur produit-phare. Ne serait-ce que pour résister à ce funeste stratagème, qui mise surtout sur notre inertie, il importe de se souvenir que le pire n’est jamais sûr.

La deuxième est que les bénéfices d’une décarbonisation massive et immédiate sont, eux aussi, massifs et immédiats. Même s’il faut malheureusement admettre qu’avec plus de 410 parts de gaz carbonique par million dans l’atmosphère aujourd’hui, un certain nombre de conséquences extrêmement désagréables sont inévitables. Mais, pour ne citer qu’un exemple, débarrasser rapidement les villes, où vit plus de la moitié de l’humanité, des moteurs à explosion aurait des avantages sanitaires immenses : ce seraient, nous informent les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, des millions de morts prématurées qui seraient évitées. Ce seraient aussi des milliards d’humains qui vivraient mieux parce qu’ils ne seraient plus contraints de respirer un air chargé d’oxydes d’azote et de particules fines, causes avérées de maladies pulmonaires et de cancer. Arrêter rapidement les pesticides et les plastiques, sources eux aussi d’importantes émissions de gaz à effet de serre, aurait également des effets positifs considérables sur la santé humaine. S’il se trouve que notre sort est scellé à cause de notre coupable inaction de ces dernières décennies, autant périr en respirant un air plus pur et en mangeant plus sain…

La troisième est que le branle-bas de combat qui s’impose, au cours duquel nous serons amenés à refonder nos sociétés autour de valeurs de coopération, d’inclusion et de créativité, est susceptible de nous faire redécouvrir des talents cachés de notre espèce. Ceux qui voudraient nous convaincre que les moteurs premiers de la « nature humaine » seraient l’avidité et l’esprit de compétition pourraient bien en prendre pour leur grade en découvrant que l’homo sapiens est encore capable de donner droit à l’attribut de « sagesse » qui figure dans sa dénomination. Nous avons toujours le choix.

Jean Lasar
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