Chroniques de l’urgence

Train de nuit, objet de désir

d'Lëtzebuerger Land vom 31.05.2019

« Moi, j’aime faire l’amour en wagon-lit / Entre Nice et Paris », chantait Michel Delpech en 1972. À cette époque, les trains de nuit et leurs versions améliorées, couchettes et wagons-lits, avec sur certains trajets l’option d’embarquer sa voiture (« train-auto-couchette »), étaient relativement courants. De ce réseau de lignes nocturnes qui faisaient d’un trajet fastidieux de huit heures ou plus un déplacement perçu comme une nuitée d’hôtel, il ne reste pratiquement rien.

L’essor des transports aériens et des trains à grande vitesse en a eu raison. Pourtant, le train de nuit représente aujourd’hui une solution toute trouvée pour remplacer les vols court- et moyen-courrier qui sillonnent nos cieux et grèvent nos budgets carbone de la manière la plus irresponsable qui soit. La pétition « Oui au train de nuit », qui réclame un réseau plus ambitieux d’intercités de nuit, a déjà rassemblé plus de 120 000 signatures. Publiée sur change.org, la pétition montre sur une carte comment, de 2009 à 2019, le réseau de trains de nuit en France s’est réduit comme peau de chagrin. En dix ans, d’un écheveau reliant une bonne vingtaine de villes et branché sur plusieurs métropoles européennes, il reste une demi-douzaine de lignes connectant Paris à Strasbourg, Dijon, Briançon ou Toulouse, avec tout juste Venise, Moscou et Lisbonne comme destinations lointaines.

La pétition fait valoir que les trains de nuit permettent de relier les territoires périphériques et les régions éloignées les unes des autres, de voyager pendant notre sommeil sans demi-journée perdue dans les transports, sont compatibles avec la transition écologique, peuvent accueillir jusqu’à 800 voyageurs et affichent de bons taux de remplissage. « La ‘baisse de fréquentation’ qui sert de prétexte au démantèlement provient d’abord d’une diminution du nombre de trains », souligne-t-elle, avant de pointer l’absence de promotion commerciale et les fréquentes annulations qui ont selon ses auteurs creusé la tombe des trains de nuit. La désaffection de ce mode de transport, encouragée sans doute par la concurrence de l’avion aux prix inconcevablement concurrentiels, semble bel et bien avoir été ensuite délibérément organisée et accélérée par la SNCF et les autres entreprises ferroviaires européennes.

Remettre en vogue le train nocturne ne requerrait pas d’investissements pharaoniques. Il est parfaitement envisageable de combiner TGV et lignes conventionnelles pour faire renaître en Europe un réseau de destinations situées à une nuitée ou une nuitée et demie de distance, rejointes de centre à centre en wagon servant à la fois de couchage, de bureau connecté ou de lieu de détente. Avec un zeste de verdeur, Delpech concluait sa chanson sur « À Saint-Vallier, je te ferai le bébé / À Fontainebleau nous dormirons ». Un programme certes plus tentant qu’un gymkhana en vol low-cost.

Jean Lasar
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