Chroniques de l’urgence

La durée du travail, levier de la décarbonisation

d'Lëtzebuerger Land vom 24.05.2019

Et si nous inscrivions la discussion sur la durée de travail hebdomadaire dans le débat sur l’urgence écologique, plutôt que de jauger celle-ci à l’aune de la productivité et de la compétitivité ? Nous savons que pour faire face au défi sans précédent de l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère, des changements sociétaux radicaux sont nécessaires. Il faut trouver le courage de remettre en question ce pilier de l’organisation de notre économie, qui se trouve être un de ceux qui affectent le plus la population salariée au quotidien.

Une étude de David Rosnick, du Center for Economic and Policy Research, Reduced Work Hours as a Means of Slowing Climate Change, publiée en 2013, s’est attachée à estimer l’impact qu’aurait une réduction moyenne globale de 0,5 pour cent par an de la durée du travail. Rosnick a trouvé que le réchauffement s’en verrait réduit d’un quart voire de la moitié (hors réchauffement déjà intégré dans le système planétaire du fait des gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère en 1990). Le chercheur convient que l’interaction entre les variables qui entrent en jeu (durée du travail, productivité, niveaux de consommation et spécifiquement consommation d’énergie), est « complexe et pas entièrement comprise », mais considère comme établi qu’une réduction des niveaux de consommation résultant d’une réduction de la durée de travail, toutes autres variables restant inchangées, réduirait aussi les émissions de gaz à effet de serre.

Une autre étude, publiée en 2012 par Kyle Knight, Eugene Rosa et Juliet Schor de l’Institut de recherche de politique économique de l’Université du Massachusetts, distingue deux effets. Le premier, dit d’échelle, intervient lorsque la durée de travail reste fixe et que règne une dynamique « travailler – dépenser » qui corrèle étroitement travail et consommation. Le second, l’effet « composite », correspond à la situation des ménages qui, disposant de moins de temps et de plus d’argent, choisissent des activités et des produits leur faisant gagner du temps, par exemple des moyens de transport plus rapides. En d’autres termes, le sentiment de mal-être qui résulte du manque de temps est compensé par des choix de consommation ayant un plus fort impact environnemental.

Ces considérations, qui mériteraient d’être approfondies, sont applicables surtout aux pays riches. Cela tombe bien, puisque ce sont aussi ces pays qui sont les plus gros émetteurs. Dans son livre Utopia for realists dans lequel il plaide avec passion pour l’adoption d’un revenu universel garanti, l’historien néerlandais Rutger Bregman note que « consommer moins commence par travailler moins – ou mieux encore, par consommer notre prospérité sous forme de loisirs ». Ainsi, une manière de s’attaquer au casse-tête climatique serait de questionner les vertus que notre culture attribue inconditionnellement au travail : il s’agit dorénavant de travailler moins pour décarboniser plus.

Jean Lasar
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