Les coulisses de la musique (6)

De la guitare au studio

d'Lëtzebuerger Land vom 02.09.2022

C’était la fin du millénaire et le groupe luxembourgeois Eternal Tango était en passe de franchir le dernier palier qui aurait pu le conduire à une reconnaissance européenne. Mais l’histoire en décida autrement et Tom Gatti, alors guitariste du groupe, va saisir l’occasion pour sauter dans le train de la production. Ça tombait bien, ce job, il en rêvait depuis toujours.

Petit, ce fan d’Indiana Jones se serait bien vu archéologue (une passion toujours présente aujourd’hui, avoue-t-il). Mais, une fois encore, la vie va lui faire prendre une toute autre direction. Il raconte : « La production de musique est quelque chose que je voulais faire quasiment depuis le début. ll n’y a pas vraiment eu de déclencheur qui aurait pu provoquer ce choix. À l’époque de mes premiers groupes, on faisait déjà pas mal d’enregistrements. Ensuite, bien sûr, il y a eu Eternal Tango qui a vraiment bien marché. Je me suis alors concentré sur la musique, mais je savais pertinemment que ça ne fonctionnerait qu’un temps ». Il pensait que ça durerait dix ou vingt ans et qu’il se lancerait dans la production ensuite. Comme le groupe a duré moins longtemps que prévu, le programme s’est accéléré : « En 2012, je suis donc logiquement revenu vers la production, mais aussi vers la composition avec d’autres artistes. Avec du recul, je me dis que j’aurais peut-être dû m’y consacrer un peu plus tôt, même en étant dans le groupe. » Il débute par monter les scènes et installer des câbles lors de concerts et de festivals, « pour apprendre ». Puis, il commence à mixer en direct, progressivement, de plus en plus, pour finalement, travailler avec des groupes. « Mais je n’avais pas de studio donc j’en louais un et on y allait avec le groupe. » Depuis quatre ans maintenant, il produit uniquement en studio et aimerait aller vers plus de composition, voire « cent pour cent composition… et vivre alors de la Sacem, ça serait top. Après tout, il suffirait d’écrire un tube, juste un seul ! »

Situé dans le vaste complexe du 1535° à Differdange, le studio Unison fait aujourd’hui figure de référence en la matière. Quand on le voit dans son studio, on comprend très vite que Tom y est dans son élément ; il est chez lui. Ce travail de producteur, c’était une évidence et il se révèle bien plus diversifié qu’on ne pourrait le croire. « Évidemment, ce job requiert d’abord des qualités « techniques », pour pouvoir mixer et enregistrer. C’est aussi un boulot où, de temps en temps, il faut être créatif, notamment en composition. Et parfois – en fait, souvent –, il faut des qualités d’éducateur parce que certains artistes arrivent en n’étant pas vraiment sûrs d’eux et il faut savoir les encadrer. Et puis, il m’arrive aussi parfois de me retrouver un peu comme le cinquième membre du groupe, mais seulement au niveau de la composition. Parce qu’en live, ils font ce qu’ils veulent, évidemment. »

Sans étiquette

Guitariste rock par excellence, Tom Gatti n’en est pas moins un fou de musique, peu importe le style. Il n’a ni préjugé ni parti pris quand vient le moment de produire du hip hop ou même une jolie pop bien sucrée. « C’est vrai que, à la base, je viens du rock – du métal, même. Mais je ne me définis pas par une période de ma vie. Les étiquettes et les tiroirs, franchement, je m’en moque. Ce serait le contraire de l’ouverture d’esprit et je n’ai jamais été ce genre de personne. J’adore des gens comme Greg Wells, un gars qui fait beaucoup de pop finalement. Il a produit des choses pour Katy Perry ou encore Mika. Il est multi-instrumentiste, pianiste à la base, et il aurait pu faire dix carrières différentes. Lui, c’est du top niveau. Et puis, tu as des gens comme Rick Rubin (Slayer, Johnny Cash, Jay-Z,…). Là, on est complètement dans le job d’éducateur. D’ailleurs, au début, on n’écrivait pas « produced by Rick Rubin », mais « reduced by Rick Rubin » parce que, son talent, c’est de voir ce qui est utile dans un morceau… et de virer tout ce qui ne l’est pas. Et il fait ça tout en étant dans son canapé, sans toucher le moindre bouton, juste en parlant avec les artistes. C’est une très grande qualité. C’est à la limite de la manipulation, mais positive. »

On se risque alors à lui demander si, après autant d’années dans les décibels, il n’a jamais eu envie de tout plaquer et de faire autre chose ? « Non, jamais ! Je n’ai jamais eu le moindre doute à ce sujet. À la limite, je réfléchis parfois à ce que je ferais si je devenais sourd ! (rires) Et comme j’aime tout ce qui est illustrations, photos, etc,… je suis sûr que je pourrais trouver une petite place dans ces domaines. » Autre question qui nous taraude : produire un morceau, ça demande combien de temps ? « Ça dépend. Est-ce que j’écris avec les artistes ou pas ? Personnellement, je ne fais jamais de séances de plus de quatre à cinq heures. Après, je n’ai plus vraiment envie et je risquerais alors de gâcher le truc. Mais, normalement, pour un morceau pop, que tu peux écrire à deux – avec un chanteur ou une chanteuse – il faut compter trois demi-journées auxquelles on ajoute une demi-journée de mixage. Ça, c’est la théorie et, évidemment, il m’est aussi arrivé de passer trois mois sur un seul morceau. »

Voilà la vie « toute simple » de ce garçon souriant et discret mais avant tout, pétri de talent. Serein, posé et paisible, on est loin du guitariste bondissant des années 2000. Mais comme disait Dylan : « The times, they are A-changin’ » !

Playlist

Premier disque acheté ou reçu ?

En fait, il y en a eu deux le même jour : Dookie de Green Day et Smash de The Offspring. Je m’en souviens bien car c’était à Trèves avec ma grand-mère et on allait faire du shopping. En fait, on allait acheter des vêtements pour la rentrée. Je dois dire que je suis assez fier de ces deux premiers choix. C’était en 1994. Et la même année, on m’a offert le disque bleu de Weezer, toujours un de mes albums préférés all-time !

La chanson qui te rappelle ton enfance ?

Bohemian Rhapsody de Queen. Je m’en souviens bien, j’étais en voiture avec mon père, on attendait ma sœur et ils ont annoncé le morceau. Et mon père m’a dit ; « Écoute ça, c’est super cool ! Y’a tous les styles dans ce morceau ! » Il avait raison et ça reste aujourd’hui encore un super morceau. Et puis, il y a Cats in the craddle de Ugly Kid Joe. C’était l’époque des scouts : un monde où il n’y avait pas vraiment de musique… sauf la fois où une animatrice est venue avec ce CD et, avec un ami, ce morceau, on a dû l’écouter mille fois sur le week-end !

La chanson qui arrive à t’émouvoir ?

Plutôt un album alors et je choisis la bande originale du film Interstellar de Hans Zimmer. Il y a une ambiance incroyable dans ce disque et ça colle parfaitement avec l’image.

La chanson qui te donne la pêche ?

Je crois que ça dépend surtout des gens avec qui tu te trouves. Si je suis tout seul, un morceau comme Africa de Toto fonctionne assez bien. Si on est entre amis et qu’un titre comme You give love a bad name de Bon Jovi passe, ça le fait aussi.

La chanson que tu ne peux plus entendre ?

Je n’en ai pas ! Des morceaux que certains vont trouver très cons, si moi j’aime bien, je m’en moque. Je peux les réécouter encore et encore sans soucis. Même quand je produis un morceau et que je réécoute une séquence, toujours la même, pendant deux heures, ça ne me pose pas de problème. Il faut aussi savoir que j’oublie vite, donc il m’arrive parfois de faire un mix, le réécouter une semaine après et le redécouvrir. J’aime bien ça et, pour moi, c’est une grande chance.

La chanson que tu as honte d’écouter ?

Idem, je n’en ai pas. En fait, je n’ai même pas de « guilty pleasures » et je ne vais jamais me cacher pour écouter un morceau. Même un morceau comme Wrecking ball de Miley Cyrus, que tous mes copains détestent, moi, je l’adore… et j’assume !

Romuald Collard
© 2024 d’Lëtzebuerger Land