« Cent slides pour bien mener sa campagne ». Voilà à quoi s’apparente l’étude Polindex présentée lundi par le politologue Philippe Poirier au bureau de la Chambre des députés. Il s’agit d’un sondage d’une précision rare sur les attentes du corps électoral. Il a été réalisé en marge des élections communales, entre le 6 et le 20 juin par la chaire de recherche en études parlementaires, en association avec l’institut Ilres. Sa présentation cette semaine et la diffusion des 105 slides (que le Land a consultés) à une sélection de parlementaires de tous bords offrent aux partis des informations très puissantes avant les vacances d’été et alors même qu’ils élaborent leurs programmes électoraux. La rentrée de septembre marquera l’entrée d’un tunnel de campagne qui débouchera rapidement sur les législatives, le 8 octobre. Philippe Poirier, titulaire de la chaire de recherche en études parlementaires de la Chambre des députés, en est conscient. Dans un email envoyé aux participants à la réunion de lundi (et dans lequel il regrette que des éléments aient fuité), il propose de présenter tous les résultats plus en détails, « par groupe et par sensibilité parlementaires » entre le 20 juillet et le 31 août. « Dans le respect des règles d’équité de traitement et du règlement général sur la protection des données », précise-t-il. Ce qui pose toutefois la question de l’accès à ces informations pour les candidats et partis qui ne siègent pas (encore) à la Chambre. Mais une conférence de presse se dessinerait…
1 058 électeurs, dont un demi-millier de « concitoyens » étrangers (presque la moitié), ont été sondés. Quasiment 6 000 personnes ont reçu l’invitation à participer. La durée médiane pour répondre au questionnaire s’élève à 44 minutes. (Ce qui laisse penser à un éventuel biais dans la mesure où une personne qui se fout éperdument de la politique et qui ne s’informe pas sera moins encline à l’avouer). Le but : comprendre les transformations des valeurs individuelles et collectives des citoyens luxembourgeois et résidents étrangers, examiner les rapports à la démocratie, aux institutions, à l’économie et à la société civile. Et, plus généralement, comprendre les déterminants du vote, les comportements politiques et les représentations sociales.
Des diagrammes en camembert mêlés à des encadrés conduisent à des constats d’ordre générique. La démocratie (et ses piliers institutionnels) serait toujours solide avec un état de satisfaction général, 70 pour cent, du fonctionnement démocratique national. Pour celui de l’UE, le score se limite à 44 pour cent. 68 pour cent des sondés (donc ceux qui ont répondu) se considèrent « politisés » : les plus intéressés par la politique sont issus des classes moyennes supérieures résidant dans la circonscription Centre, relève l’équipe de Polindex. La confiance en les partis politiques est toutefois limitée. Par exemple, 43 pour cent des répondants préféreraient être gouvernés par des citoyens ordinaires plutôt que par des politiciens professionnels. Les médias professionnels demeurent, eux, la première source d’information. Trente pour cent des sondés consultent la presse imprimée, de facto la principale source d’information. 18 pour cent s’informent sur le web et treize à la radio. L’opinion politique se construit, elle, d’abord dans le cercle de connaissances puis à travers les médias, apprend-on encore.
La partie « déterminants du vote » revêt le plus d’intérêt en vue de la campagne législative. Les chercheurs en études parlementaires caractérisent ici le groupe électoral comme une « société d’abondance économique gagnée par la méfiance et la lassitude ». Des disparités apparaissent selon les circonscriptions. Au Centre on considère que la niveau de vie est resté stable (soixante pour cent), dans le Sud qu’il s’est dégradé (quarante pour cent). Mais pour la première fois depuis 2009, une majorité s’inquiète de la situation économique. Elle est d’ailleurs perçue plus négativement chez les concitoyens étrangers. Et on parle de très grande inquiétude pour la situation économique des prochaines générations.
Le corps électoral reste donc plus « matérialiste que post-matérialiste », résument les chercheurs. Avec 69 pour cent, le logement précède le maintien du pouvoir d’achat (43), l’environnement (38) puis la santé (36) parmi les principales préoccupations. En 2013, 46 pour cent se préoccupaient du chômage. Les citoyens luxembourgeois et les concitoyens étrangers identifient les mêmes principaux défis. Qui pourraient le mieux les régler ? Le CSV pour 18 pour cent, le LSAP pour quatorze pour cent, le DP pour douze et les Verts pour sept. Concernant les intentions de vote, elles s’orienteraient à 22 pour cent vers les chrétiens sociaux, quinze vers les démocrates et les socialistes et huit pour les Verts qui accusent le plus gros recul (avec seulement cinq pour cent d’intentions de vote dans le Sud). Attention : 22 pour cent des sondés ne savent pas encore pour qui voter et notamment la moitié de l’électorat qui n’a qu’une éducation primaire. L’étude identifie en outre une dynamique pour l’ADR et les Pirates.
Les sondeurs (financés par la Chambre) interrogent également sur l’action du gouvernement sortant. Quel sont les enseignements pour le gouvernement de Xavier Bettel (DP) ? Après dix ans en fonction, le corps électoral apprécierait son bilan de manière générale avec une moyenne positive. Elle s’établit à 5,6 points pour le gouvernement installé depuis 2013. Elle était de 7,2 en 2018. Le Covid-19 est passé par là ? Oui, mais 74 pour cent des sondés ont une opinion favorable de la gestion de la pandémie. La politique du logement est le principal écueil. 77 pour cent jugent que le gouvernement n’est pas parvenu à contenir l’inflation liée à la location de logement ou à favoriser l’accessibilité à la propriété. D’ailleurs, l’action gouvernementale est très critiquée pour avoir échoué (c’est ce que pensent les sondés) à juguler l’augmentation des prix en général. Le gouvernement s’accorde lui un satisfecit de ce point de vue puisque l’inflation a moins progressé au Grand-Duché que dans le reste de l’UE (en sponsorisant notamment la consommation d’énergies fossiles).
Un enseignement clé pour cette enquête, peut-être à dimension autoréalisatrice si un candidat le brandit : 71 pour cent des sondés jugent que le Premier ministre devrait être issu du parti arrivé en tête des élections. 64 estiment que les deux partis arrivés en tête devraient former la coalition. (Il faut encore que cela soit arithmétiquement possible.) Seuls 42 pour cent jugent qu’un gouvernement composé de trois partis « est une bonne chose ». L’étude dessine même les coalitions les plus « probables » selon les sondés. Avec le DP en favori (moyenne de 6,6), suivi par le LSAP (6,1) puis le CSV (5,8). Une majorité ne croit pas que Déi Gréng intègreront la coalition (eux qui pourtant ont permis de la reconduire en 2018). La coalition la plus « souhaitable » aurait le LSAP à sa tête (5,9). CSV et DP sont au coude-à-coude avec une moyenne de 5,7. Les Verts sont encore aux fraises avec 53 pour cent de sondés qui notent le parti écologiste entre un et quatre (inclus), le seul des quatre grands partis à rassembler une majorité contre lui.
Vive la luxembourgophonie. L’étude réalisée par les services de Philippe Poirier érige le luxembourgeois en tête des langues légitimes pour mener les débats démocratiques. 74 pour cent pensent que la langue de Dicks devrait être « davantage » utilisée lors des débats au Parlement et 76 aux conseils communaux (elle l’est exclusivement dans ces deux instances). 54 pour cent estiment que les textes de loi devraient être « davantage » rédigés en luxembourgeois (ils sont en français). Pour les médias télé et radio, 73 pour cent privilégient le luxembourgeois. 57 pour la presse écrite (web et imprimée), contre 22 pour l’allemand (pourtant la langue des deux principaux quotidiens) et 32 pour le français.
Le vote des étrangers occupe une place prépondérante dans le sondage de la chaire de recherche en études parlementaires (dans la pondération aussi). Cette dernière les dit légèrement plus « matérialistes » que les nationaux avec une interrogation plus forte sur le « vivre ensemble ». Même si chez eux comme chez les Luxembourgeois, les principales préoccupations sont le logement, le maintien du pouvoir d’achat et le changement climatique. La préoccupation pour la sécurité des biens et des citoyens est légèrement plus prégnante chez les étrangers que chez les autochtones (trente contre 28). Les concitoyens étrangers seraient moins intéressés par la politique que les nationaux (douze points de moins). Ils ont néanmoins une impression très favorable (note de 7,1 contre 5,6 en moyenne pour les Luxembourgeois) de l’action du gouvernement. Ils voteraient davantage pour le DP (19 pour cent), pour le CSV (quinze), le LSAP (douze) puis les verts (onze). Les Pirates et l’ADR sont ensuite au coude-à-coude à cinq et quatre pour cent. Dans l’ensemble, les étrangers se qualifient essentiellement de centre-droit quand les Luxembourgeois se positionnent majoritairement au centre. Enfin, selon le sondage, la pratique dominante de la langue luxembourgeoise dans la sphère politique et « l’entre-soi », en plus d’une méconnaissance des institutions, « provoquent l’exclusion et l’auto-exclusion (très forte) » des concitoyens étrangers.
Polindex apporte d’autres enseignements sur des préoccupations d’ordre institutionnel et sur les habitudes de votes. Par exemple, 73 pour cent des sondés voteraient si le vote était facultatif. 54 pour cent des électeurs se disent favorables à une circonscription unique (mais ils étaient 80 pour cent en 2018). 82 pour cent disent que le genre n’influe pas dans le vote. Philippe Poirier promet de nouveaux résultats d’ici fin juillet sous le même format (une centaine slides) et via une note écrite d’une cinquantaine de pages. Une autre étude sera livrée à la fin du mois d’août « en lien avec l’actualité électorale afin que vous disposiez du maximum d’informations ». Une diligence interrogée par certains partis comme celui des Pirates. Contacté par le Land, son leader Sven Clement informe avoir demandé les résultats bruts. Une demande rejetée par la chaire en études parlementaires. « On reviendra à la charge », annonce Sven Clement qui s’interroge en outre sur la méthode, notamment les pondérations par circonscription. Le parti s’est récemment attaché les services du sondeur professionnel (ex-TNS Ilres), Tommy Klein.