Le poste de Premier ministre ne serait pas « une précondition » à des discussions de coalition, dit Luc Frieden au Land. Le Spëtzekandidat du CSV signale être (éventuellement) prêt à renoncer au ministère d’État, afin de garder ouvert le jeu des coalitions la nuit du 8 octobre. Cette fois-ci, le CSV se prépare à tous les scénarios et arrangements pour revenir dans le gouvernement. Le parti ne veut pas revivre l’humiliation de 2018. Le comité national du CSV s’était alors réuni le soir même du scrutin électoral. Sous le choc de la débâcle, les pontes du parti décidèrent majoritairement de ne pas proposer le poste de Premier ministre au DP. Ils se ravisèrent dès le lendemain et firent « une offre » à Xavier Bettel, qui ne se montra guère intéressé.
En 2016, Claude Wiseler avait prématurément lancé sa campagne de reconquista en agitant le spectre d’une croissance risquant de « nous dépasser ». Sous l’effet du référendum de l’année précédente, il misa sur une « Wuesstumsdebatt », alimentant les peurs des électeurs conservateurs. Dans les quarante prochaines années, prévenait-il, « six villes de la taille de la Ville de Luxembourg » devraient être construites et il n’y aurait « plus que trente pour cent de Luxembourgeois ». Wiseler finit par se fourvoyer dans ses propres contradictions. Publié tardivement, son « Plang fir Lëtzebuerg » promettait l’abaissement du taux d’affichage, l’élargissement des autoroutes et la désignation de nouvelles zones d’activités.
En 2023, Luc Frieden fait l’inverse de ce que faisait Claude Wiseler en 2016. Il assume d’entrée une campagne pro-croissance. Ce lundi, le Spëtzekandidat a présenté un best-of du programme électoral – qui vient d’être avalisé mais n’a pas encore été publié – dans le bar éphémère de la Charly’s Gare. Dans ce cadre hipster, Luc Frieden promet « manner Steiere fir jiddereen », « méi Netto vum Brutto », « méi Kafkraaft », tout en fustigeant « la spirale de l’endettement ». Le maintien du triple A, répète-t-il, serait le « principe sous-jacent » de toutes ses propositions. Frieden ne veut surtout pas passer pour l’homme de l’austérité. Il a trouvé un deus ex machina : La croissance. « Mir brauchen zu Lëtzebuerg Wuesstem. D’CSV steet fir Wuesstem », martelait-il, dès son congrès d’investiture en mars. Ce lundi, il réaffirme son crédo : « Une économie qui croît, c’est l’alpha et l’oméga de notre vie ». Ses promesses, dit-il, ne « pourront être financées qu’à condition que nous ayons de la croissance », que le candidat affuble de différents adjectifs comme « qualitative », « inclusive » ou « intelligente ». Expliquant qu’une baisse des impôts conduirait à une hausse des recettes, Luc Frieden cite sans le nommer Arthur Laffer, le guru fiscal de Ronald Reagan, Dick Cheney et Donald Trump.
Le CSV mène campagne sur un profil de droite : baisse des impôts, 700 policiers supplémentaires, comparution immédiate, libéralisation du secteur de la Santé. (Le parti vise ouvertement la conquête d’un ministère dominé par le LSAP depuis cinquante ans.) Il tente de séduire la classe moyenne en bricolant quelques unique selling propositions. Aux jeunes parents, Frieden promet une meilleure « work-kids balance ». Concrètement, il s’agit de quatre « Elterestonnen » par semaine, qui ne seront ni rémunérées ni compensées. (Pour les bas salaires, Frieden « peut s’imaginer » que l’État fournisse « une petite contribution »). Plutôt qu’une réduction du temps du travail qu’avance timidement le LSAP, le CSV veut concrétiser un « droit au temps partiel » que promettait déjà l’accord de coalition libéral de 2018. Quant aux mères et pères au foyer, le CSV leur fait miroiter un doublement des allocations familiales. Sur le sujet du dérèglement climatique, Luc Frieden reste mal à l’aise. Parmi les dix priorités du CSV, le point figure au numéro huit (ce n’est pas un « hit-parade », souligne-t-il). Le CSV fait invariablement précéder le terme de « Klimaschutz » par « raisonnable » ou « pragmatique ». Le même élément de langage est recyclé ad nauseam : Il faudrait « embarquer les gens » plutôt que de leur « imposer » des contraintes. En même temps, Frieden évoque un « plan Marshall » pour le photovoltaïque et les éoliennes, même si ses objectifs chiffrés restent en-deçà de ceux que s’est fixé le gouvernement. Un de ses speaking points récurrents concerne la faible part (11,7 pour cent) qu’occupent les renouvelables dans le total de la consommation d’énergie, une critique escamotant le tourisme à la pompe qui fait exploser les statistiques.
Les propositions du CSV en matière de logement n’ont rien de révolutionnaire. Les mesures du gouvernement auraient provoqué « une perturbation du marché », regrette Frieden ce mardi sur Radio 100,7. Le CSV propose un retour au passé, c’est-à-dire à une politique de la demande (notamment celle des investisseurs), que le parti veut combiner à un court-circuitage de l’administration de l’Environnement au sein des périmètres constructibles. « Verschidde Fliedermais » ou « e puer Déieren an der Wiss » ne devraient pas devenir une « source de blocage », estime Frieden. Les promoteurs devraient pouvoir construire « plus haut, plus dense, plus vite », dit-il, sans préciser comment il compte en convaincre les communes. Face au Land, il se dit optimiste que les maires pourraient être pris « mat an d’Boot ».
L’ancien ministre aime cultiver un air de sérieux et de compétence. Sa rafale de promesses fiscales le fait passer pour un candidat désespéré. Un inventaire de « priorités » ne fait pas un récit. Le centre politique est déjà suroccupé, notamment de bons narratifs. Lenert, l’héroïne malgré elle de la pandémie ; Bettel, le convivial protecteur des porte-monnaies ; Tanson, la garante des libertés et de la Sachlichkeit. En comparaison, le profil de « #Luc » paraît dur et froid.
Le CSV vante l’expérience de Luc Frieden, mais celui-ci n’aime pas trop revenir sur son bilan. « Je ne suis pas quelqu’un qui vit dans le passé », dit-il au Land (3 février). « Il ne faut pas sans cesse regarder dans le rétroviseur de l’Histoire », explique-t-il sur RTL-Radio (29 avril). « Je ne vis pas en 2013 », assure-t-il à Reporter (8 mai). Avait-il préféré que l’enquête sur le Bommeleeër ne soit pas poursuivie, voulait savoir Radio 100,7, début juin. « Vous décrivez des choses qui ne correspondent pas à ma perception de la réalité », répond l’ancien ministre de la Justice. Il ne veut pas passer pour l’homme de la Restauration, ni se fourvoyer les pieds dans les casseroles qu’il traîne. Il répète donc en boucle avoir « changé ». Par moments, Frieden réécrit l’Histoire à sa guise. Sur RTL-Radio, il se targuait ainsi de son « bon » résultat personnel aux législatives de 2013, « no enger ganz schwiereger Zäit ». En fait, le dauphin avait crashé, passant de 31 672 à 17 612 suffrages nominatifs.
Dix ans plus tard, Luc Frieden doit mener campagne sans tribune ministérielle. Il travaille depuis une petite salle de conférence au siège du CSV, et dit ne pas avoir recours aux services d’un spin doctor. (Un rôle dévolu en 2018 à l’ancien rédacteur en chef du Wort, Marc Glesener.) Aux côtés de Frieden, deux sherpas : Claude Wiseler et Elisabeth Margue ; les deux co-présidents du CSV qui, peu avant Noël, lui avaient offert la Spëtzekandidatur sur un plateau. Ses concurrents auraient « un avantage compétitif », dit Frieden, notamment en termes d’opportunités de photos lors de leurs déplacements officiels. Il s’en console en cherchant l’approbation de son milieu naturel.
À quatre jours du scrutin communal, il était ainsi le seul politicien invité à un panel de discussion organisé par Elvinger-Hoss-Prussen, l’étude d’affaires dont il était associé jusqu’en avril. (L’événement fut seulement couvert par Delano, Paperjam et le Wort.) Entouré de pontes et de lobbyistes de la place, Frieden disserta sur l’intérêt que présentait « la coopération » avec « les cabinets d’avocats ou d’autres experts au Luxembourg » dans l’implémentation de la régulation bancaire. Pour attirer les « talents », il faudrait revoir leur taxation. Il profita du match à domicile pour tacler son Némésis politique Franz Fayot : « Si nous ne faisons des affaires qu’avec un nombre limité de pays qui appliquent exactement les mêmes critères en termes de gouvernements démocratiques et de droits de l’homme, je pense que nous pouvons oublier l’avenir de l’économie réelle au Luxembourg, ainsi que celui du secteur financier. »
Déjà présagée pour 2018, la perspective d’une coalition avec le CSV ne semble pas enthousiasmer Xavier Bettel. D’un point de vue stratégique, il a tout intérêt à prolonger l’exil dans l’opposition de Luc Frieden et des députés-maires frustrés du CSV. Il pourrait ainsi parachever sa mission historique : Faire du DP le nouveau CSV. Le Premier ministre ne cache pas qu’une deuxième réédition sociale-libérale ne serait pas pour lui déplaire : « Je dois dire qu’avec l’actuelle majorité, j’ai construit une relation de confiance sur le plan humain qui est très, très forte », dit-il le 15 mai à Radio 100,7. Il utilise la même formule dans une interview parue ce mardi dans Reporter : « Une relation de confiance, telle je l’ai développée avec mes collègues de coalition, il faut la construire ». Le lendemain, c’est dans Télécran qu’il insiste sur sa « relation de confiance » avec Paulette Lenert et « une série d’autres collègues ». Les Verts avaient sauvé in extremis la coalition en 2018, en passant de 10,3 à 15,1 pour cent, raflant pas moins de trois sièges. Si les communales peuvent servir d’indicateur, ce sera cette fois-ci aux libéraux de sauver les meubles de la coalition libérale.
À l’inverse du DP, le CSV ne sort pas galvanisé des communales. Avec les Verts, les chrétiens-sociaux sont les perdants du 11 juin, leur score passant de 30,4 à 26 pour cent. Le parti a perdu dans 46 des 56 Proporzgemengen, et ceci dans chacune des circonscriptions, de Pétange (-11,98%) à Clervaux (-12,62) en passant par Echternach (-3,93) et Luxembourg (-4,55). Toujours est-il que dans neuf des onze villes ouvrières du Minett, le CSV réussit à se maintenir au conseil échevinal. Les résultats l’auraient « intéressé mais pas concerné », relativise Frieden, et d’en souligner « la composante très fortement locale ». Le Spëtzekandidat s’était fait discret le soir du scrutin. Avant de se rendre dans les studios de RTL-Télé, il a brièvement visité les sections de Niederanven, Contern et Hesperange, c’est-à-dire les localités les plus proches de son domicile.
En 1993, avant de se présenter sur la liste du Stater CSV, Frieden avait rencontré Lydie Polfer pour sonder ses opportunités de carrière au sein du DP. Les dix dernières années, l’ex-ministre des Finances les a passées comme lobbyiste, président de banque et avocat d’affaires. Il affiche sans vergogne son idéologie néolibérale et fait l’éloge des trickle-down economics. Or, de Dupong à Juncker, la force du CSV était justement de masquer les conflits de répartition sous un vernis de corporatisme, de paternalisme et de « doctrine sociale de l’Église ». Frieden sait que pour gagner les élections, il doit faire quelques concessions aux vestiges de l’aile gauche du CSV. Le temps d’une campagne, le faucon du déficit cache donc ses serres. Il jure ainsi ne pas toucher au mécanisme de l’indexation. Il bidouille même avec le dogme des trente pour cent. Sur RTL-Radio, il a expliqué ce mardi que le ratio dette-PIB devrait rester « autour des trente pour cent ». Ce serait finalement une question de « tendance » plutôt que de « trente, 29 ou 31 pour cent ». Pour quelqu’un qui, il y a neuf mois encore, affirmait qu’« un petit pays devrait plutôt viser les vingt ou 25 pour cent », il s’agit quasiment d’une apostasie. « Êtes-vous un homme croyant ? », lui avait demandé, fin avril, le rédacteur en chef de RTL-Radio, Roy Grotz, en ouverture du Background. Silence de trois secondes : « Heiansdo. »