Georges Rassel reprend la présidence de la Fedil. Après les années Buck et Detaille, place à un ingénieur

« Mir wëllen et net iwwerdreiwen ! »

Georges Rassel, Michèle Detaille et René Winkin, ce mardi
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 26.04.2024

La désignation, ce mardi, de Georges Rassel, un ingénieur de Paul Wurth SA, comme nouveau président de la Fédération des industriels (Fedil) marque un retour aux sources pour l’organisation patronale. En 1918, elle avait été fondée sous l’impulsion de l’industriel Paul Wurth, en réaction aux avancées sociales que venaient d’obtenir les syndicats. Rassel a rappelé cette généalogie, évoquant ce « grousse Monsieur aus der Lëtzebuerger Industriegeschicht ». Il apparaît, lui, très éloigné de l’autoritarisme cultivé par son lointain prédécesseur. On décrit Rassel comme un homme discret et conciliant, accoutumé au dialogue social.

Les deux derniers présidents de la Fedil avaient pimenté le dialogue social, en cultivant un certain franc-parler. Nicolas Buck estimait ainsi que le patronat aurait été « 40 Joer laang gebiischt » au sein Comité permanent pour le travail et l’emploi (d’Land, 15.11.2019). Michèle Detaille critiquait sur RTL-Radio (5.2.2021) la transparence comme étant « contraire aux bonnes règles du business ». Que les parlementaires puissent consulter la convention entre RTL et l’État, cela serait « absolument idiot et contre-productif ». À la tête de la Fedil, Buck affichait une désinvolture de grand bourgeois, tandis que Detaille mettait à profit son réseau dans les milieux libéraux. Rassel a tenu à rendre hommage à sa prédécesseure, louant son « instinct politique ». (Qu’elle a acquis dès les années 1980, en tant que députée wallonne et maire d’un village ardennais.) L’avocat d’affaires Jean-Louis Schiltz aurait pu reprendre sa relève. Il a préféré rester dans les coulisses. L’ancien jeune espoir du CSV se fait reconduire à la vice-présidence, poste qu’il occupe depuis cinq ans maintenant. (À part l’industrie manufacturière, la Fedil regroupe également les grands cabinets d’avocats, les firmes de construction, les Big Four ou encore Amazon. Ce qui en fait une organisation très puissante et un excellent lieu de réseautage.)

Restait Rassel. Âgé de 59 ans, il est grand et mince, porte une chemise blanche à boutons noirs (sans cravate), ses cheveux gris en brosse. Il aborde une barbe de trois jours et des lunettes rondes en écailles. Rassel est un manager peu flamboyant, mais il est jugé solide. Il a dirigé pendant huit ans Paul Wurth, entreprise où il a passé l’entièreté de sa carrière professionnelle. Diplômé de la prestigieuse École polytechnique de Lausanne, Rassel est issu des sciences dures (à l’inverse de Detaille et Buck, politiste respectivement économiste de formation).

Ce jeudi devant l’AG de la Fedil, le nouveau président se disait « immens geéiert » de sa nouvelle position. Il a présenté « un programme de travail » qu’il situe « plus ou moins dans la continuité » et qui viserait « une économie forte, décarbonée et hautement productive ». Un discours d’investiture très convenu. Rassel a longuement critiqué la « machine réglementaire » qui poserait un cadre « étouffant », notamment en matière environnementale : « Il s’agit de se battre contre une culture de la méfiance ». Autre classique, la critique de l’index, ces « progressions dangereuses dictées par la loi ». Mais elle s’est faite plus timide (ou réaliste) : Si plusieurs tranches venaient à s’accumuler, il faudrait trouver des « solutions avec les partenaires sociaux », dit Rassel, reprenant la position friedenienne.

Ce mercredi, lors de son premier passage chez RTL-Radio, Georges Rassel s’est démarqué de Michèle Detaille. Celle-ci venait de lancer une campagne contre l’absentéisme, proposant que les salariés malades ne soient plus indemnisés pendant leur premier jour d’absence. Georges Rassel s’est voulu, lui, beaucoup plus apaisant : « Je dirais que cela n’est pas nécessairement une priorité ».

Lors de l’AG, le nouveau président s’est recommandé au ministre libéral de l’Économie, Lex Delles (présent dans la salle), comme un intermédiaire « korrekt a konstruktiv ». Si cela s’avérait nécessaire, la Fedil formulerait des critiques : « Mee sidd berouegt, mir wëllen dat net iwwerdreiwen ! » Pour le reste, il se dit « relativement aligné avec le nouveau gouvernement » (à moins que ce soit l’inverse). C’est l’école René Winkin. Si le directeur de la Fedil compte comme le lobbyiste le plus habile du Luxembourg, c’est parce qu’il ne cherche pas la confrontation ouverte, mais intègre les contraintes et convictions politiques de ses interlocuteurs dans son argumentaire.

Georges Rassel disposera de beaucoup de temps pour se consacrer à la présidence de l’organisation patronale, puisqu’il est quasiment à la retraite. En avril 2021, Paul Wurth SA avait été intégralement reprise par SMS Group, l’État luxembourgeois cédant ses parts à la firme familiale dirigée par l’Allemand Heinrich Weiss. (Longtemps engagé à la CDU, cet industriel ultra-libéral avait compté parmi les premiers soutiens financiers de l’AfD en 2014, avant de s’en détourner, dénonçant une dérive droitière.) Le nouvel actionnaire a réaménagé la direction, évinçant Rassel de son poste de CEO en janvier 2023. Celui-ci a pu intégrer le conseil d’administration de Paul Wurth, un prix de consolation.

Georges Rassel a commencé à travailler chez l’expert en ingénierie sidérurgique Paul
Wurth en 1988, soit quelques années avant que l’Arbed ne fasse sa grande transition vers les fours électriques. Paul Wurth construira donc exclusivement ses hauts fourneaux en-dehors des frontières du Grand-Duché, ce qui a conféré un profil très international à la carrière de Rassel. La Russie était un des principaux marchés, représentant environ un cinquième du chiffre d’affaires de la société. « Der russische Kunde zahlt pünktlich und oft ohne Reklamation », se réjouissait Rassel en 2014 dans Télécran. La guerre en Ukraine et les sanctions européennes ont fermé ce marché lucratif. « The Company eliminated all on-going contracts with Russian customers from its order book », lit-on dans le rapport 2022 de Paul Wurth SA.

La désignation de Rassel à la présidence de la Fedil en renforce l’expertise sur la question de l’énergie (déjà établie par René Winkin, ancien secrétaire général du Groupement pétrolier). Cela fait quelques années que Paul Wurth s’affiche comme champion de « l’acier vert », c’est-à-dire de la décarbonation et de l’hydrogène. (La sidérurgie génère environ sept pour cent des émissions globales). Ce mardi, dans son discours devant l’AG de la Fedil, Rassel a mis l’accent sur la transition énergétique, « absolument nécessaire ».

Le conseil d’administration de la Fedil reste marqué par un certain entre-soi luxembourgeois. Paul Konsbruck, CEO de Luxconnect et ancien dircab de Bettel, vient d’y être coopté, tout comme Philippe Glaesener (SES Space & Defense) et Christophe Goossens (RTL-Luxembourg). Michèle Detaille évoque un des critères pour y entrer, à savoir « une implication pour le pays ». Au CA de la Fedil, elle ne voudrait pas de quelqu’un « qui arrive ici pour deux mois ou deux ans ; et qui ne sait même pas qu’il est à Luxembourg au lieu d’être à Singapour ». Une nouvelle génération d’héritiers quadragénaires fait également son entrée dans le cénacle, à savoir Georges Krombach (Heintz van Landewyck), Antoine Clasen (Bernard-Massard) et Isabelle Lentz (Brasserie nationale). Detaille estime que cet engagement « entrepreneurial » serait « impressionnant », d’autant plus qu’il n’est pas dicté par des besoins « uniquement financiers » : « Pour la plupart, et ça c’est une appréciation tout à fait personnelle, ils pourraient se contenter d’aller jouer au golf, de faire du kitesurf ou des Ironman. Mais ces jeunes hommes et jeunes femmes se retroussent les manches et prennent des risques. »

Bernard Thomas
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