2030, 2050 ou 2060 : les politiques climatiques proclamées en Europe, en Chine et bientôt aux États-Unis se donnent des objectifs de réduction d’émissions à dix, trente ou quarante ans. Une réduction de 55 pour cent des émissions de CO2 est visée au sein de l’UE d’ici la fin de la décennie. La Chine veut porter les siennes à zéro d’ici 2060. Le Royaume-Uni vient d’annoncer vouloir arriver à « net zero » d’ici trente ans à l’aide d’un plan en dix points. On attend de Joe Biden un plan à 2 000 milliards de dollars sur quatre ans qui inclura probablement aussi un objectif net zéro. Alors, sauvés ? Nous sommes hélas loin du compte. Petit topo des manœuvres dilatoires en cours dans trois pays européens.
Allemagne Après l’exécrable accord qui se contente de vouloir fermer en 2038 les centrales à charbon, et alors que se met en place une stratégie hydrogène qui ressemble plus à un plan de sauvetage des gaziers qu’à un programme de décarbonation, la prochaine trahison des ambitions climatiques de la République fédérale se prépare au Kanzleramt. Puisque la norme Euro7 en gestation à Bruxelles pour les moteurs à explosion est perçue par le lobby automobile allemand comme une menace existentielle, la chancelière met les petits plats dans les grands, rapportent des médias allemands. Elle crée une commission permanente comprenant, sous sa férule, cinq ministères, les fédérations patronales et les centrales syndicales, avec pour but pratiquement avoué de vider de sa substance cette future norme européenne. Les constructeurs ayant décrété que les limites d’émission envisagées pour les oxydes d’azote à partir de 2025 « ne peuvent pas être atteintes en pratique au plan technique », Madame Merkel va monter au créneau en s’appuyant sur le « large front » ainsi formé et plaider que des centaines de milliers d’emploi sont en jeu. C’est donc bien à une défense en règle du moteur à explosion que se prépare Berlin, quitte à continuer d’empoisonner les atmosphères des villes et à enfermer l’industrie automobile européenne dans une réglementation qui va inéluctablement retarder l’abandon des combustibles fossiles. Le conflit autour de l’extension de l’autoroute A49 en Hesse, où des militants écologistes s’opposent aux forces de l’ordre pour défendre une forêt, le Dannenröder Forst, contre les bulldozers, tandis que les Verts hessois, alliés aux chrétiens-démocrates au Landestag, persistent à vouloir « honorer un contrat », illustre bien la difficulté que rencontre les institutions allemandes, aux plans fédéral et régional, à tourner le dos à un modèle centré sur la voiture individuelle.
France Créée dans le sillage de la crise des gilets jaunes, la Convention citoyenne pour le climat a planché pendant six mois et fait, en juillet dernier, 149 propositions. Composée de 150 citoyens tirés au sort et conseillés par des experts, la Convention a fourni un travail remarquable, soumettant un catalogue de mesures diversifiées, couvrant des domaines variés, comprenant du dur et du symbolique, de l’évident et de l’astucieux : nul doute que si le président avait respecté sa promesse de transmettre « sans filtre » ses propositions aux instances compétentes et qu’eût été mis en œuvre, ou pour le moins en chantier, l’arsenal législatif, réglementaire et de communication proposé, la France serait aujourd’hui engagée sur une voie considérablement plus climato-compatible. Mais il a vite fallu déchanter. Trois mesures ont été écartées d’emblée, dont celle d’une limite générale de 110 km/h sur les autoroutes. La mission confiée aux conventionnels était de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins quarante pour cent d’ici 2030 par rapport à 1990 ». La démarche a certes apporté la preuve que les modèles de participation citoyenne peuvent aussi fonctionner en France. Mais pour le reste, le gouvernement d’Emmanuel Macron n’a fait preuve d’aucun empressement. Une partie des propositions avancées par la Convention avaient déjà été écartées, et rien n’indique une intention de rouvrir le débat. Pour les autres, malgré la présentation cette semaine par le gouvernement d’un catalogue de mesures inspirées des travaux de la Convention, le contour de celles-ci reste des plus vagues, et aucune initiative légiférante sérieuse ne se dessine. Quelque six mois après la publication des propositions de la Convention, et à moins d’un sursaut que rien ne permet pour l’instant de présager, force est de constater que l’exercice se sera résumé à de la communication politique.
Royaume-Uni Glasgow doit accueillir l’an prochain la COP sur le climat. Est-ce dans cette perspective que Boris Johnson a annoncé récemment un plan climat en dix points pour une « révolution industrielle verte », dont les médias ont surtout retenu qu’il prévoit de mettre fin d’ici 2030 à la vente de voitures essence et diesel ? Censé faire bouger le Royaume-Uni « à grandes enjambées vers le net zéro d’ici 2050 », le programme relève en réalité lui aussi de la temporisation. Pourquoi attendre la fin de la décennie pour mettre fin à la vente de voitures dotées d’un moteur à explosion ? Ce dont l’atmosphère terrestre a besoin pour se remettre des milliers de gigatonnes de CO2 que nous y avons déversées depuis deux siècles et pour que nous ayons une chance d’enrayer le réchauffement, c’est d’une baisse immédiate et tangible de nos émissions, pas d’une promesse à dix ans. Électrifier le transport, c’est indispensable, mais perpétuer le règne des voitures individuelles, même électriques, n’est pas une option compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Les 2,4 milliards de livres d’investissements prévus par le plan de Johnson en faveur des voitures électriques sont à mettre en regard des 27 milliards que son gouvernement a promis en août dernier d’investir dans des projets d’infrastructures routières. A noter enfin que les références au « net zéro » contenues dans ces plans climat cachent presque toujours une supercherie consistant à recourir à d’hypothétiques « technologies d’émissions négatives », projets pharaoniques et invraisemblablement risqués, pour couvrir les écarts laissés par des projections de réductions d’émissions trop timorées.
Conclusion Ce que ces politiques climatiques ont en commun, ce sont des objectifs en apparence ambitieux, mais dont la réalisation, au lieu d’être chiffrée année par année, est fixée à un point éloigné dans le temps. Or, de tels dispositifs sont conceptuellement et structurellement inopérants. Au regard de l’urgence, ce sont des compromis boiteux qui font la part belle à la poursuite du modèle économique productiviste et extractiviste. Ils cachent mal les atermoiements, reports et exercices d’enfumage auxquels se préparent déjà en sous-main les gouvernements et administrations qui les énoncent. Pour être crédible en 2020, une stratégie climatique se doit d’inscrire dans le dur, de préférence dans la Constitution et les traités internationaux (afin d’engager les futurs gouvernants), des objectifs de réduction annuels plutôt qu’étalés sur des décennies, vérifiables grâce à des critères affichés, et enfin assortis de sanctions et correctifs s’ils ne sont pas atteints. Il va sans dire que de tels objectifs n’ont pas beaucoup de sens s’ils ne sont pas accompagnés d’un démantèlement agressif des subventions directes et indirectes aux énergies fossiles. Enfin, si elle n’intègre pas simultanément de robustes objectifs de justice climatique (en s’attaquant aux inégalités) et de restauration des équilibres du monde naturel (dont dépend un climat terrestre viable), une stratégie, même articulée autour de cibles de réduction d’émission annuels, ne fait tout simplement pas le job. Ce qui est valable pour Berlin, Paris ou Londres l’est malheureusement presque partout : nos gouvernants continuent de fétichiser la bagnole et de botter en touche.