Chroniques de l’urgence

Un défi inouï

d'Lëtzebuerger Land du 13.11.2020

Depuis que l’éminent climatologue James Hansen s’est adressé aux législateurs américains en 1988 pour les alerter sur l’imminence et la gravité du péril du réchauffement, les administrations américaines successives ont consciencieusement traîné des pieds. Au regard du sabotage pur et simple auquel s’est livré le président sortant (encore que cette expression ne semble pas s’appliquer à lui), les huit années de présidence Obama qui l’ont précédé peuvent-elles pour autant être vues comme une période de progrès ? Il ne faut pas se leurrer. Limité certes par le poids au Capitole des républicains alignés à cent pour cent sur les intérêts des groupes d’énergies fossiles, mais aussi par un positionnement personnel favorable au gaz naturel et au fracking, perçus comme outils de consolidation de la suprématie énergétique américaine, Barack Obama est resté très en-deçà des attentes des scientifiques et activistes. S’ouvrent à présent, 32 ans après le discours de Hansen, quatre années de présidence Biden qui correspondent à une urgence inouïe : les émissions de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter inexorablement, et tous les voyants sont au rouge. Alors qu’outre-Atlantique, l’opinion a considérablement évolué sur la question, terrifiée à juste titre par les dégâts considérables qu’infligent désormais ouragans à répétition, sécheresses historiques et incendies monstrueux, l’establishment démocrate a pesé de tout son poids lors des primaires pour favoriser Biden le centriste face au socialiste Sanders, significativement plus engagé que son rival sur la question climatique.

Bien que Joe Biden ait énoncé un programme de transition énergétique en milliers de milliards de dollars, celui-ci reste excessivement timide par rapport à l’ampleur de la tâche. Sauf surprise, il n’y aura pas de « Green New Deal ». Après quatre ans de démontage systématique par l’administration Trump des sauvegardes environnementales et des mesures pour le climat, il est tentant de se dire que tous les efforts sont bons à prendre. Malheureusement, cela correspond à la posture, si commune mais parfaitement illusoire, consistant à vouloir négocier avec la nature. Greta Thunberg, la plus connue des défenseurs du climat, ne s’y est pas trompée. Dans un entretien avec Damian Carrington du Guardian publié cette semaine, elle souligne à nouveau, sans faiblir, à quel point le monde continue de sous-estimer l’urgence de la crise. Les objectifs de réduction à l’horizon 2050 ou 2060 affichés par le Royaume-Uni, la Chine ou le Japon ? Symboliques, dit-elle, farcis d’échappatoires. « Si nous ne réduisons pas nos émissions maintenant, alors ces objectifs lointains ne signifieront rien parce que nos budgets carbone seront épuisés depuis longtemps », insiste-t-elle. Si elle n’évoque pas directement Joe Biden, le moment qu’elle a choisi pour s’exprimer démontre que le nouveau locataire de la Maison Blanche ne doit s’attendre à aucune période de grâce de la part du mouvement climatique.

Jean Lasar
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