Le gouvernement allemand embrasse l’hydrogène comme un des axes de l’« Energiewende ». L’empressement de la grande coalition à vouloir sanctuariser la place de l’hydrogène dans sa stratégie climatique est cependant quelque peu suspecte. Pourquoi tant de plaidoyers dithyrambiques pour cette solution si elle vraiment aussi performante en termes d’empreinte carbone ?
Dans la discussion sur les solutions décarbonées, le dihydrogène a cette particularité de ne pas être à proprement parler une source d’énergie – la molécule n’existant pas sur terre à l’état non lié – mais un vecteur d’énergie censé nous aider à décarboner : un combustible produit par vaporeformage ou électrolyse en amont de son utilisation et dont l’ignition entraîne l’émission de vapeur d’eau, mais pas de CO2 ou d’aérosols.
Bien qu’incolore, l’hydrogène a été affublé dans cette discussion des adjectifs « vert » et « gris ». Le premier résulte d’une production à partir d’énergies renouvelables, le second suppose un recours aux hydrocarbures. Or, la stratégie développée à Berlin prévoit de faire commencer l’ère de l’hydrogène par une importation massive d’hydrogène produit à l’aide de méthane.
Les experts des groupes industriels allemands – que le gouvernement entend charger de faire de l’hydrogène un des pivots de la transition énergétique – présentent ces jours-ci au Bundestag leurs solutions de production, de stockage et de transport, rapporte le site spécialisé Klimareporter.de. L’un d’eux évoque une proportion de 80 pour cent pour cent d’importation par l’Allemagne d’hydrogène gris à l’horizon 2030, une ventilation certes bancale du point de vue de la décarbonation mais, assure-t-il, indispensable si l’on veut garantir aux entreprises allemandes un prix compétitif de ce gaz non carboné. Un représentant de Siemens Energy préconise de miser pragmatiquement sur des solutions hybrides plutôt que de s’enliser dans des discussions idéologiques. Une entité spécialisée de l’institut Fraunhofer jure que de l’hydrogène vert pourra être produit sous peu et massivement à des prix compétitifs dans des régions du monde où le kWh d’origine renouvelable est suffisamment bas.
La discussion est à la fois très technique et grevée d’incertitudes. A quelle vitesse pourront être créées les infrastructures nécessaires à ce remodelage prométhéen ? Quels coûts de revient engendreront-elles ? La demande d’hydrogène sera-t-elle au rendez-vous ? La méfiance est de mise pour plusieurs raisons. Cette stratégie semble servir davantage l’industrie allemande que la transition énergétique. Par son recours au méthane, tributaire de gazoducs ou de navires gaziers, elle pérennise un modèle centralisateur, le contraire des maillages distribués que permettent les renouvelables. Elle ferme les yeux sur le péché originel du méthane, dont on sait désormais qu’il s’échappe dans l’atmosphère en grandes quantités lors de son extraction et contribue de ce fait massivement au réchauffement. La stratégie allemande de l’hydrogène risque de s’avérer d’ici quelques années être un Monopoly du méthane – un va-banque incompatible avec l’urgence climatique.