Chroniques de l’urgence

Dangereuses tergiversations

d'Lëtzebuerger Land du 27.11.2020

Face à des défis existentiels, temporiser n’est pas une option. C’est pourtant le choix qu’ont fait un grand nombre de gouvernements face à la pandémie cette année. De même que le nouveau coronavirus ne fatigue pas, les immenses problèmes climatiques, environnementaux et sociaux que nous vaut notre addiction aux énergies fossiles ne se résoudront pas d’eux-mêmes. S’il est bien une leçon qu’il nous appartient de tirer de la gestion souvent calamiteuse du Covid-19, c’est que nier, regarder ailleurs, louvoyer, procrastiner, espérer pour le mieux, attendre que ça passe, remettre à des jours meilleurs, tenter de négocier, gagner du temps, rien de tout cela ne fonctionne. Quand bien même cette nouvelle maladie tue et rend durablement souffrants un grand nombre d’humains, il nous appartient de tirer profit au plan cognitif de l’expérience de la crise qu’elle suscite. Des menaces aussi graves, aussi radicales que celles-là, soit on les attaque à bras-le-corps, avec pour but d’en venir à bout, soit on hésite, on en aggrave les impacts et on finit par y succomber.

Bien qu’utile pour nous pousser à enfin agir, ce parallèle a cependant ses limites. Contrairement à la pandémie, que des politiques sanitaires conséquentes, y compris sans doute de vastes campagnes de vaccination, devraient pouvoir juguler ou du moins mitiger en l’espace de quelques années, rien d’aussi simple n’existe pour la crise climatique. Cesser de procrastiner, s’engager à réduire drastiquement nos émissions et traduire ces engagements en actes n’est que le début d’une longue marche qui s’annonce, ne nous voilons pas la face, autrement plus ardue que nos efforts pour surmonter la pandémie.

Même si nous parvenons à réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre, il faudra compter avec les impacts négatifs des émissions passées, qui risquent de déstabiliser le tissu social et par conséquent de menacer l’acceptabilité des efforts de mitigation. Événements climatiques extrêmes, détériorations de la biodiversité, acidification des océans, écroulements des rendements agricoles et halieutiques, poussées migratoires, instabilités et crises économiques et politiques, autant de problèmes qui au cours des prochaines années peuvent à tout moment nous surprendre et se combiner en grappes explosives. 

L’autre grand enseignement à tirer de la pandémie est qu’en tant que politique, on s’abrite derrière la défense à tout crin de l’économie à ses risques et périls. Sachons lire les rapports du GIEC. À moyen terme, la santé publique est davantage menacée par la crise climatique que par le Covid-19. Tergiverser sur les mesures sanitaires au nom de la préservation de l’emploi ou de la croissance est un leurre, comme le démontrent les performances économiques très moyennes des pays qui ont zigzagué face au défi sanitaire. De même, reporter la décarbonation aux calendes grecques au nom de points de PIB à grappiller est un calcul illusoire.

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Jean Lasar
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