Chronique de l’urgence

Retours de manivelle

d'Lëtzebuerger Land du 06.11.2020

La majeure partie du charbon, du gaz et du pétrole qui subsiste dans le sous-sol doit y rester, tous les enfants le savent désormais. Mais ceux dont les revenus dépendent de leur extraction et de leur utilisation font feu de tout bois pour poursuivre un modèle d’affaires failli, au risque de se ridiculiser. En voici deux exemples récents.

Utilisant le dispositif des questionnaires rapides de Twitter, Shell a demandé cette semaine à ses followers ce qu’ils étaient prêts à faire pour « aider à réduire les émissions ». Curieuse question de la part d’un groupe dont le propos est d’extraire le plus possible de pétrole et de gaz. Ses dirigeants évoluent-ils dans une bulle où leurs fanfaronnades vertueuses leur montent à la tête ? L’enquête elle-même a eu un succès limité – seuls 199 comptes ont répondu –, mais elle a enflammé la twittosphère et a dû faire amèrement regretter son initiative à la compagnie pétrolière. À coup de milliers de retweets railleurs ou de franche détestation, les détracteurs de Royal Dutch Shell se sont lâchés. Alexandria Ocasio-Cortez, la star démocrate réélue à New York, s’est dite « prête à vous tenir responsable pour avoir menti sur le changement climatique pendant trente ans alors que vous saviez tout le temps que les combustibles fossiles détruiraient notre planète ». La gréviste du climat Greta Thunberg, les jeunes activistes américains du Sunrise Movement, la climatologue Katharine Hayhoe ont abondé dans son sens. Le scientifique Peter Kalmus s’est fendu d’un « Fuck you » bien senti, en majuscules. « Vous avez eu votre chance de faire partie de la solution, à présent nous allons tout faire pour vous mettre en faillite », a-t-il tonné.

Une mésaventure similaire vient d’arriver à la Fédération des ingénieurs allemands (VDI) qui a cru bon devoir publier une « étude » comparant l’empreinte carbone des voitures électriques à celle des « Verbrenner », pour conclure au bénéfice de ces dernières. Complaisamment repris par le Handelsblatt, le texte du VDI a là aussi déclenché un remarquable retour de manivelle. Des experts qui l’ont décortiqué ont démontré qu’il reposait sur des données erronées ou dépassées. Auke Hoekstra, de l’université d’Eindhoven, a précisé que contrairement au chiffre de 8,9 tonnes de CO2 émises pour produire une batterie de 48 kWh en Chine (six tonnes pour la même batterie fabriquée en Europe), avancé par les auteurs du VDI, cette empreinte a considérablement chuté pour se situer désormais à 3,6 tonnes. Narquois, Hoekstra a dit espérer que « le travail du VDI sur les moteurs à explosion est moins enclin à l’erreur ». Plusieurs commentateurs, se présentant comme membres de longue date du VDI, ont annoncé leur intention de quitter cette organisation au vu de ce faux pas.

Jean Lasar
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