Cirque

À l’école des « zaltimbanques »

d'Lëtzebuerger Land du 04.11.2016

Une structure légère, toute de bois et de verre, de grandes baies vitrées courant le long des deux salles de cours, ouvrant sur un petit jardin verdoyant... Bienvenue dans les nouveaux locaux de l’école de cirque Zaltimbanq ; l’ancienne menuiserie Zeyen, à Limpertsberg, que l’association loue à la Ville de Luxembourg pour un prix symbolique, abrite aujourd’hui les acrobaties des enfants et des adultes. L’ancienne partie de stockage du bois a été réaménagée en vestiaires. Tout en haut, sous une magnifique charpente en poutres apparentes d’origine, une immense salle où stocker instruments et costumes pour les spectacles. Auparavant, les cours avaient lieu dans des salles de gymnase à Cessange et à Merl, il fallait programmer selon la disponibilité, courir d’un quartier à l’autre... Aujourd’hui, les neuf animateurs ont des bureaux, une cuisine, et un véritable planning de cours en continu. « Ça nous donne une immense liberté et la possibilité de faire vivre une véritable ambiance », se réjouit Max Hinger, qui enseigne depuis cinq ans chez Zaltimbanq.

Jonglerie, aérien, équilibre... les disciplines sont nombreuses. En ce moment, l’aérien – d’immenses et lourds tissus pendus au plafond le long desquels évoluent les circassiens – est à la mode. La discipline est particulièrement prisée des filles. Dans le cours auquel nous assistons ce jour-là, elles sont une dizaine, pour un seul garçon. « C’est la tendance qui se retrouve actuellement dans la majorité des écoles de cirque : deux tiers de filles, un tiers de garçons. Ces derniers prisent davantage la jonglerie, les disciplines plus manuelles », explique Max, spécialisé en jonglerie, particulièrement le diabolo. Le jeune éducateur élargit régulièrement sa palette, comme avec le monocycle. Avant de choisir une discipline, deux années de cours « multi », pour « multiactivités », constituent une base indispensable. « Il s’agit de développer leur curiosité, leur confiance, explique Dennis Wezenberg, animateur. Beaucoup sont attirés par l’aérien sans savoir à quoi s’attendre, c’est dur ! Ça peut générer un sentiment d’échec. Même l’échauffement est plus physique. » On le remarque à la façon dont les toutes jeunes filles se frottent les mains qui se sont agrippées au tissu, soutenant tout leur poids. Léa confirme : « Oui, ça fait mal le tissu, c’est difficile... » Tout en étant moins rigide que la gymnastique ou que la danse, toutes deux très codifiées.

L’objectif de l’école est d’utiliser les disciplines circassiennes comme outils pédagogiques : développer la psychomotricité, la sensorialité, mais aussi les compétences sociales, la confiance en soi et en l’autre sur lequel il faut savoir s’appuyer. Diane, maman de Julie, souriante et fine blondinette de neuf ans, en témoigne : « Elle vient à l’école depuis toute petite avec son papa (avant six ans, Zaltimbanq propose des cours parent-enfant), c’est elle qui a demandé l’an dernier à faire de l’aérien. Ça lui a apporté beaucoup de confiance en elle, dans tous les domaines, parce que les professeurs ne poussent pas les enfants, ils accompagnent, mais sans esprit de compétition. »

Dans la deuxième salle, le cours « multi » regroupe une vingtaine d’enfants entre six et huit ans, tous plus enthousiastes les uns que les autres. Max et Dennis ne sont pas trop de deux pour encadrer l’agitation contagieuse et colorée des filles et garçons. Alors qu’en face l’ambiance est plus calme, les filles très soignées, concentrées, presque toutes en justaucorps et collants noirs, ici, c’est coloré, vif, ça part dans tous les sens. Mais ne nous y trompons pas, tout est parfaitement maîtrisé. Après l’échauffement axé aujourd’hui sur la coordination, chacun peut passer d’un agrès à un autre sous l’œil et avec les explications des professeurs : gros ballons sur lesquels on monte en essayant de se maintenir en équilibre, fil d’équilibriste à quelques centimètres du sol, assiettes multicolores qu’on fait tourner au bout d’une baguette, balles, massues, monocycles... Dennis montre un exercice d’équilibre sur un bidon métallique couché sur le sol, puis sur un ballon. Il fait mine de manquer de tomber, gagnant les rires de la jeune assistance.

Partout, de gros tapis épais et moelleux jonchent le sol. Prendre des risques, se dépasser, oui, mais sans se faire mal. Justement, une petite fille vient de trébucher du fil d’équilibriste. Elle ne s’est heureusement pas blessée mais semble surtout un peu vexée d’être tombée. Max s’assoit à ses côtés, passe un bras bienveillant autour de ses épaules, l’écoute. Dennis explique : « En quinze ans d’enseignement, le pire accident auquel j’ai assisté est un bras cassé. » Une « bête » chute du ballon qui aurait pu arriver n’importe où. Justement, comment intégrer la gestion du risque inhérente au cirque ? « La prise de risque est un apprentissage, poursuit l’animateur. On dit aux enfants : expérimente, apprends à gérer ton espace et fais attention : à toi, aux autres, au matériel. »

Charles, six ans, fréquente l’école depuis trois ans. De la confiance, de l’humour aussi, il en a à revendre ; on l’observe mettre un chapeau, prendre une assiette de jonglage, puis foncer à l’autre bout de la pièce grimper sur un ballon... «  J’adore le rola-bola ! confie -t-il. Ici, on s’amuse, les copains et les profs sont sympas... » Lou, huit ans, dit « tout » aimer ici. Très agile avec son assiette qui tournoie au bout d’une baguette, elle vient ici depuis deux ans et on la sent déjà très épanouie.

Le succès ne se dément pas : quelque 240 élèves, une liste d’attente de deux à trois ans. « Nous ne prenons pas trop de monde car nous tenons à garder notre fonctionnement familial, dit Max. ça me fait plus plaisir d’apporter davantage à peu de personnes que moins à beaucoup. Je peux les suivre, les voir évoluer d’une année sur l’autre... » Martina Thaler, professeur d’aérien, fille liane à l’impressionnante souplesse, résume l’esprit dans un sourire : « Je suis tellement contente de venir au travail tous les jours ! C’est ma passion. »

« Zirkusschapp » à Limpertsberg ; 26, avenue Pasteur ; pour plus d’informations : www.zaltimbanq.lu.
Sarah Elkaïm-Mazouni
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