On ne construit plus guère d’églises, a fortiori de cathédrales, une seule en France au vingtième siècle, à Evry, par l’architecte Mario Botta. Des stades, au contraire, il s’en construit, et ils s’avèrent de plus en plus grands, de plus en plus somptueux. Pas étonnant que les journalistes sportifs ne manquent pas de faire le transfert et d’évoquer sans sourciller la cathédrale du Camp Nou. C’en est devenu une constatation banale, le football serait la religion des XX et XXIe siècles, le nouvel opium du peuple. Ce à quoi l’exposition du Musée d’histoire de la Ville de Luxembourg, après ses passages dans de véritables hauts lieux du foot, comme Amsterdam, Bâle ou Lyon, s’emploie à apporter de la lumière, et pour une fois les projecteurs sont moins dirigés sur le terrain que sur les à-côtés, non moins intéressants, des fois stupéfiants.
L’introït, pour rester dans le langage, ce qui accueille le visiteur dès l’entrée, au rez-de-chaussée, est cantonné à la capitale et au pays luxembourgeois, partie où l’on en apprend des choses, par exemple que pas moins de 883 équipes (de toutes sortes) ont participé aux championnats de la saison 2015/16. Des statistiques, bienvenues, mais il y a plus pittoresque, et l’on passe déjà aux objets de dévotion, coupes, fanions, tricots ou ballons à l’ancienne, et j’en oublie ; c’est toujours avec plaisir qu’on revoit les affiches de Jean Jacoby, plus rien de pareil ne se fait aujourd’hui, plus d’usage, on constate, surpris, que jadis ou naguère, on marquait seulement le jour et le mois, non pas l’année.
À chaque étape de son périple, l’exposition est de la sorte enrichie d’un apport indigène, images qui défilent de supporteurs, très belles photos de Christof Weber qui, dans une salle très arrangée avec musique idoine et fenêtre en ogive au fond emmènent faire un tour dans des bistrots de clubs. Et toujours pour la couleur locale, il a été ajouté un tricot où se mêlent les couleurs de la Jeunesse Esch et du CS Grevenmacher, peut-être les fans qui se font le plus signalant par le design de Floor Wesseling des rivalités autrement anciennes et virulentes. Regrettons, au moment d’écrire ces lignes d’un classique décevant, qu’on n’ait pas pensé à « marier » le PSG et l’OM. Et de façon générale, qu’il faille bien chercher, dans tel caisson lumineux, pour trouver de rares références tricolores, un bon vieux match Racing-Lille, en 1909, un billet d’un France-Luxembourg plus récent, une couverture du Miroir des sports de 1934.
Que de moments, tellement l’exposition est riche, qui rapprochent football et religion, qui témoignent d’un véritable culte, joueurs comme supporteurs y participent, et le courant passe des uns aux autres. Un trophée gagné est brandi de façon ostentatoire, élévation laïque, un autel est aménagé pour un joueur, pas n’importe lequel, Maradona, par un restaurateur napolitain, ils ont la vénération facile là-bas. Et l’on sait combien le joueur a fait intervenir jusqu’à la main divine pour marquer, l’affiche de l’exposition le montre, de façon très pieuse, les mains jointes pour la prière ; d’autres joueurs, pour d’autres attitudes religieuses, lèvent avant le match les bars au ciel.
À exposition grand public, interactivité obligée. Elle ne se limite pas à des jeux de questions et de réponses, virtuellement, vous enfilez des gants de gardien pour arrêter des tirs au but. Pour un peu, on vous inviterait à essayer le cercueil que le FC Twente propose à ses fidèles, you’ll never walk alone, bien sûr, dans pareille situation. Toute une vie, toute une existence sous le signe, dans l’emprise du foot. On naît dans une salle d’accouchement aux couleurs de tel club, un autre a déjà prévu le cimetière. La jeune femme porte un bikini du FC Barcelone, le jeune homme met une capote du FC Basel ; il faudrait quand même prendre soin aussi que le ballon continue à rouler.
On est là à l’extrême limite, du bon ou mauvais goût, du fanatisme, de la bêtise, à chacun de juger. Au bout de l’exposition, des travers plus graves, dérives désolantes, sont juste esquissés, comme hooliganisme, marchandisation (on y est tout le temps), politisation, financiarisation, et la liste est loin d’être close. Dernier exemple qui vient à l’esprit, et de quoi boucler l’article par un retour au pays, du moins partiel. Si Madame Louis-Dreyfus ne veut pas on se rabat sur Monsieur Seydoux, à défaut de l’OM, ce sera donc le LOSC ; il est vrai qu’il était difficile de se satisfaire du CS Fola, aussi vénérable qu’il soit, le club le plus ancien du Grand-Duché.
Allez, tout cela, ridicule, excessif, lamentable, n’empêchera pas d’aimer, de continuer à aimer le football. Pour ce qu’il est, pas grand-chose. Un jeu.