Et si un des films les plus pertinents de l’édition 2016 du Luxembourg City Film Festival (LuxFilmFest) ne se regardait même pas en salle ? Mercredi soir, le secrétaire d’État à la Culture, Guy Arendt (DP) a ouvert le festival et le quartier général du Magic Mirrors, place de la Constitution, en y présentant Hotel Budapest du jeune réalisateur luxembourgeois Eric Lamhène (déjà repéré avec ses courts-métrages, et surtout ses épisodes pour Routwäissgro, parmi les plus sensibles de la série), produit par Bernard Michaux pour sa nouvelle société Realab. Or, le film, tourné en 360° ne se regarde pas le cul vissé sur une chaise de cinéma, mais en enfilant des lunettes spéciales qui permettent de s’orienter dans l’espace filmique comme si on y était. Hotel Budapest a été tourné en septembre 2015 à la frontière serbo-hongroise, lorsque la police hongroise essayait d’interdire l’entrée sur leur territoire à des milliers de réfugiés syriens. Hal 6, un deuxième film, lui aussi de quelques minutes seulement, raconte le pendant de cette détresse des migrants, leur arrivée au Luxembourg, qui n’est en fait que le début d’un long périple administratif. L’expérience immersive est impressionnante, une belle entrée pour le festival, qui, par ailleurs passe presque entièrement sous silence le thème des réfugiés, pourtant omniprésent (et récompensé) à la Berlinale la semaine passée (voir page 19).
Le grand thème – pour autant qu’il y en ait un – du festival, qui s’est ouvert hier soir, jeudi, et dure jusqu’au 5 mars, avec la remise du Filmpräis (voir ci-dessous) est peut-être l’impossibilité de relations humaines sincères et stables dans un monde dominé par la violence. Dans la sélection officielle, dont le jury international est présidé par le cinéaste chinois Wang Xiaoshuai, il y a du film de guerre, comme Land of mine de Martin Pieter, racontant la vie des très jeunes prisonniers de guerre allemands utilisés par l’armée danoise en 1945 pour désamorcer les quelque deux millions de mines posées par la Wehrmacht sur la côte durant la guerre. Il y a aussi la guérilla, urbaine, dans Frenzy du Turc Emin Alper, ou dans la jungle, dans Alias Maria de l’Argentin José Luis Rugeles Gracia. Dans Apple Sauce, comédie loufoque américaine d’Onur Tukel, un homme reçoit des membres humains par courrier, dans Couple in a Hole du Britannique Tom Geens, un couple qui a renoncé à la civilisation vit dans un trou dans la forêt. Ce sont les collègues de classe de John et leur méchanceté qui rendent sa réinégration après un crime impossible, dans The Here After du Suédois Magnus van Horn, et l’héroïne du film allemand Wild de Nicolette Krebitz développe un étrange désir sexuel après sa rencontre avec un loup. Même le film de Thomas Vinterberg The Commune, qui célèbre pourtant l’amour libre dans une des communautés des années 1970 au Danemark, œuvre célébrée à Berlin, montre les limites de l’amour et des relations humaines sincères dans un environnement aussi mouvant. À noter que la sélection manque cette année de participations asiatiques ou « exotiques » et que tous les films proviennent de pays de cinéma disons classiques.
Les amateurs d’exotisme se tourneront alors plutôt vers la compétition documentaire où, outre deux très bons films luxembourgeois (voir ci-contre), on découvrira la cinéphilie en Afghanistan, avec un groupe de militants essayant de récupérer les 8 000 heures de pellicule de la Cinémathèque locale que les talibans iconoclastes ont voulu faire brûler (A flickering truth de Pietra Brettkelly). On pourra aussi accompagner Sonita Alizadeh, jeune réfugiée afghane en Iran qui se bat contre le mariage forcé organisé par ses parents avec un clip de hip-hop qui est devenu viral et a permis, par le relais d’internautes du monde entier, de la libérer (Sonita de Rokhsareh Ghaem Maghami).
Destin de femme aussi, mais cette fois en République tchèque, que celui de Mallory, une sans abri droguée, que la réalisatrice Helena Trestikova accompagne pendant plusieurs années dans sa lutte pour s’en sortir, surtout pour offrir un meilleur cadre de vie à sa fille. À côté de Where to invade next de Michael Moore, qu’on ne présente plus, notre coup de cœur va à Under the sun du réalisateur russe Vitaly Mansky, qui a accompagné une petite fille modèle en Corée du Nord – pour mieux déconstruire la mise en scène opérée par le parti. Le jury des documentaires est présidé par Alexander Manau, dont le déroutant Toto and his sisters avait été programmé au LuxFilmFest 2015.
À côté de ces deux compétitions, il y a aussi une dizaine de films en sélection officielle mais hors compétition, une ribambelle d’événements hors les murs (au Neimënster, au Mudam...), une foultidude de films pour enfants, de nombreuses avant-premières de productions ou coproductions luxembourgeoises, longues ou courtes, une exposition au Cercle-Cité (Future Days par le collectif Pleix), bref, pour le dire avec Alexis Juncosa, le coordinateur de la programmation : le LuxFilmFest commence à devenir un vrai festival, où il est impossible de tout voir et où il faut faire des choix.