Les lampions de la fête nationale se sont éteints, mais la nation reste à la fête, grâce notamment au procureur d’État qui continue à se faire le procureur de l’État. Un État qui ressemble de plus en plus au système totalitaire russe avec les poupées du même nom qui n’en finissent pas de surgir tout au long du procès Bommeleeër et de l’enquête sur les activités du Srel. Si pour ce dernier, une affaire devait en cacher une autre, aujourd’hui une casserole vient en révéler une autre. En s’essayant à (pour le moins) freiner les ardeurs du parquet, Luc Frieden a montré le peu de cas qu’il fait de la séparation des pouvoirs, ce qui n’empêchera pas le bon peuple de se séparer bientôt du pouvoir et ceci bien malgré le parti socialiste qui, lui, ne veut pas se séparer du pouvoir. À propos de sa lamentable motion ni-ni ou plutôt béni oui-oui, qu’il vota tout seul (non pas comme un grand, mais comme un tout petit) l’autre jour à la Chambre, la charité m’interdit de tirer sur l’ambulance, mais l’électeur se chargera, je n’en doute pas, d’achever le corbillard.
La politique, disait un jour Juncker, n’est pas un jeu. Aujourd’hui elle tient à la fois du jeu de dupes et, pour le dire en allemand, du « Trauerspiel » et du « Lustspiel ». Nous sommes donc au théâtre tous les soirs et le théâtre, on le sait depuis les tragiques grecs, sert à purifier acteurs et spectateurs par la catharsis. Tragédies et comédies tendent un miroir à nos peurs et nos espoirs, et le spectacle politique actuel nous apprend bien plus sur nous-mêmes et notre pays que les élucubrations des doctes journalistes, politologues et autres psys. À commencer par l’énorme écho médiatique que suscita le délire d’un jusqu’alors obscur témoin mythomane qui régla, au Bommeleeërprozess, son compte avec un père mal aimé qu’il accusa d’être le commanditaire de ces attentats, vieux d’un quart de siècle. Dans cette scénette, le citoyen individuel projeta ses propres envies œdipiennes de meurtre du père sur l’acteur, et la nation toute entière exhiba son désir, à peine inconscient, d’achever le père de la nation. N’oublions pas que dans le récent toilettage constitutionnel, cette même nation vient de castrer le grand-père Henri, et elle se charge maintenant de tuer le père Jean-Claude. Catharsis, je vous dis.
Et qui dit Œdipe, pense Hamlet. Le premier agit, le second hésite. Le rôle du prince du Danemark est tenu par le procureur Biever, car comment expliquer autrement ses déclarations sur son ancien ministre Frieden, tellement ambivalentes qu’il doit tenir conférence de presse sur conférence de presse et faire déclaration sur déclaration pour infirmer l’après-midi ce qu’il n’a pas voulu dire le matin. Hamlet ne peut se résoudre à se venger ; il tergiverse, soupèse, fuit dans la mélancolie et se remet enfin au théâtre dans le théâtre pour arriver à ses fins. Le parallèle est troublant entre ces deux hommes qui accusent, tout en ne se résolvant que difficilement à être aussi téméraires que courageux. Les affirmations, négations et doubles négations du procureur sont pain béni pour le psychanalyste, à l’instar du désormais célèbre « Wann d’Enquête net vill Resultater haat, waar et net dem Frieden seng Schold. » Là où les Latins disaient : « Si vis pacem, para bellum », le procureur semble penser : « Si tu veux la guerre, fais (à peine) semblant de ménager Frieden ! »
L’explication de ce texte nous est fourni par Freud, dont je vous cite quelques phrases issues de son magistral essai Die Verneinung, publié une première fois en 1925 : « – Sie fragen, wer diese Person im Traum sein kann. Die Mutter ist es nicht. – Wir berichtigen : – Also ist es die Mutter. » La technique de la dénégation est une astuce pour affirmer intellectuellement une chose, tout en n’en assumant pas affectivement les conséquences. En d’autres mots : le procureur est bien obligé d’affirmer une chose qui le rend triste. La dénégation, nous dit Freud, est toujours du côté de la pulsion de mort, du thanatos, alors que l’affirmation, toute ironique qu’elle soit, relève de la pulsion de vie, de l’éros. « Etwas im Urteil verneinen, heißt im Grunde : Das ist etwas, was ich am liebsten verdrängen möchte », nous dit Freud un peu plus loin, en utilisant (est-ce un hasard ?) un langage quasi juridique. Rendons hommage alors au procureur qui, la mort dans l’âme, prend sur lui et se résout à crever l’abcès. Et admirons son génie de transformer le thanatos de la négation en éros de l’affirmation, en ayant recours, par un beau pied de nez, à l’ironie de la double négation, du genre : « Et war net keen », ou encore « le Srel n’est pas indispensable au pays ». L’homme sur lequel on a vidé des tonneaux de purin en dilapidant l’argent public pour enquêter sur de calomnieuses affaires de soi-disante pédophilie, a donc bien assimilé la leçon freudienne pour tirer, paradoxalement, envers et contre tous, un « Lustgewinn » de cette triste affaire en ayant recours à l’ironie et au « Witz » qui sont, comme nous le savons depuis Aristophane et Chaplin, les armes de la victime intelligente. Que l’homosexualité affichée et revendiquée de trois honorables citoyens dégénère aussi facilement en suspicion de pédophilie en dit long sur les conceptions morales de notre époque et de ses dirigeants, à commencer par le premier d’entre eux qui se dit, dans cette affaire, responsable mais pas coupable.
Relisons alors une dernière fois le texte de Freud qui demande à son patient : « Was halten Sie wohl für das Allerunwahrscheinlichste in jener Situation ? » et qui écrit ensuite : « Geht der Patient in die Falle und nennt das, woran er am wenigsten glauben kann, so hat er damit fast immer das Richtige zugestanden. » À l’image du patient de Freud, Yvan tombe volontiers dans le piège d’imaginer un vote de défiance réussi à la Chambre des députés avec, à la clef, des élections anticipées et un renvoi dans l’opposition du CSV.
Yvan
Kategorien: Maux dits d'Yvan
Ausgabe: 24.05.2013