Les ambitions climatiques affichées par la Commission et le Parlement européens ont été mises à mal avec l’adoption par les partis de la coalition majoritaire d’un compromis désastreux pour encadrer la politique agricole commune (PAC) jusqu’en 2027. Comme souvent au Parlement européen, la manœuvre, qui a scandalisé les élus des Verts et de la gauche, a emprunté une forme procédurière : prenant prétexte des difficultés du vote à distance lié à la crise sanitaire, les trois partis qui y mènent la danse (conservateurs du PPE, libéraux du groupe Renew et sociaux-démocrates regroupés sous le sigle S&D) ont fait passer en force, en avançant un vote crucial avant que les eurodéputés ne puissent débattre d’amendements, un texte qui entérine ce modèle hérité du siècle passé. Ce compromis boiteux va même plus loin puisqu’il contient, dans un cas au moins, un verrou productiviste : au nom du « level playing field », il interdit aux pays qui voudraient faire plus d’efforts que les autres en faveur de la biodiversité de s’écarter des règles communes.
En l’état, la PAC favorise une agriculture productiviste et l’usage massif de produits phytosanitaires. Elle pousse également à la concentration des exploitations, à la création de filières ultra-dépendantes des subventions et son corollaire, des lobbies nationaux et bruxellois qui défendent bec et ongles ce modèle insoutenable tant au plan du climat que de la biodiversité. Compte tenu du poids de la PAC dans les politiques et les budgets gérés par l’Union, perpétuer ce modèle est rigoureusement incompatible avec les ambitions affichées dans le cadre du « Green Deal ».
Car si l’on s’en tient à ses seules intentions proclamées de réduire les émissions, l’Union européenne fait partie des bons élèves. C’est au moment de passer à l’acte, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de traduire ses objectifs chiffrés en directives et en crédits accordés aux agriculteurs, que ça se gâte. Pour être compatible avec les objectifs adoptés dans le cadre de l’Accord de Paris, la future PAC devrait aboutir à une réduction de trente pour cent des émissions de CO2 de l’agriculture d’ici 2027. Avec ce que se préparait à adopter le Parlement cette semaine, que le commissaire européen en charge de l’agriculture a lui-même critiqué, on en est loin : un retour en force du clientélisme national se dessine là où il faudrait un élan communautaire vers la décarbonation, la préservation et la restauration de la biodiversité, moins de chimie, plus de bio…
Alors que les votes sur les différents volets de la « nouvelle » PAC se poursuivaient, Celia Nyssen, du Bureau environnemental européen (EEB), n’a pas mâché ses mots. Pour elle, l’accord passé entre les parlementaires majoritaires est un « stinking deal » « rétrograde » et relève d’une « hypocrisie révoltante ».