Ticker du 9 juin 2023

d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2023

Etienne Schneider,

ancien ministre de l’Économie (LSAP), vient de publier le bilan 2022 de Beta Aquarii SA, sa société de consultance. L’activité « de conseil et d’intermédiation économique et commercial » semble florissante. La petite boîte affiche un insolent résultat après impôts : 3,4 millions d’euros en 2022, pour un chiffre d’affaires qui avoisine les six millions (5 954 028 euros pour être précis). En une année, Beta Aquarii a plus que triplé son résultat qui, en 2021 encore, n’atteignait « que » 830 291 euros. L’ex-ministre socialiste semble avoir dégotté de nouveaux clients auxquels facturer ses « prestations de services ». Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, Schneider et son prédécesseur au Forum Royal, Jeannot Krecké, avaient été vivement critiqués pour leurs postes d’administrateurs dans la galaxie de l’oligarque russe Vladimir Ievtouchenkov (Sistema et East-West United Bank), sièges qu’ils s’étaient résignés à quitter fin février 2022. Dans ses rapports 2021 et 2022, Beta Aquarii note que « cette crise n’est pas susceptible de remettre en cause la continuité de ses activités au regard de l’efficace réorganisation et de ses efforts perpétuels d’adaptation ». La société dit employer trois personnes à temps plein. Sur le site de Beta Aquarii, l’internaute est accueilli par une citation de Shakespeare : « All the world’s a stage, and all the men and women merely players ». L’ex-ministre y offre ses services en « intelligence consulting » et en « networking », « at the crossroads of individual interests and public interest ». Contacté par le Land, Etienne Schneider n’a pas donné suite à nos questions. bt

Kreemchen

Voilà quatorze mois que le registre des cadeaux aux ministres sommeille. Depuis avril 2022, aucune actualisation n’a été opérée sur le site du ministère d’État qui est supposé en centraliser et publier les données. En théorie, il devrait être actualisé tous les quatre mois. Les services de Xavier Bettel expliquent l’actuel « petit retard » par le fait que la fonctionnaire en charge du registre aurait changé de service, et promettent une actualisation pour la semaine prochaine. En attendant, il est intéressant de se pencher sur la précédente édition du registre, publiée au printemps dernier mais très peu (voire pas du tout) commentée.

Parmi les donateurs les plus fréquents des années 2018-2022, on retrouve quelques usual suspects comme Bernard-Massard, Vinsmoselle ou Ferrero, mais également Bank of China ou PM International, un fabricant de compléments alimentaires (d’Land, 13.01.2023). Docler Holding (qui comme Bernard-Massard gâte tous les ministres), une plateforme qui a fait fortune dans le porno, a adressé des bouteilles de vin et des boîtes de chocolat au Premier ministre Xavier Bettel et à ses Vice-Premiers Bausch, Schneider et Kersch. La société de domiciliation Manaco SA, détenue par Alexis de Bernardi (cité dans les « Offshore Leaks ») a exprimé ses « vœux de fin d’année » à six reprises par des bouteilles de vin.

Selon le règlement grand-ducal de 2014, « les cadeaux et les offres d’hospitalité » adressés aux ministres dans l’exercice de leurs fonctions « peuvent être acceptés », à moins de risquer d’en « d’influencer le jugement dans le cadre d’une prise de décision ». Ces cadeaux doivent être conformes aux « règles de courtoisie » et leur « valeur approximative » ne doit pas dépasser le montant de 150 euros.

Le nombre et la nature de ces petits cadeaux (dont la valeur est donc toujours estimée à moins de 150 euros) varient fortement en fonction du ressort. Sam Tanson croule ainsi sous les CD, sérigraphies et livres, alors que Lex Delles accumule le bric-à-brac d’ententes touristiques, d’offices régionaux et de syndicats d’initiative. Parmi les ministres qui ont reçu (ou accepté) le moins de cadeaux, on retrouve Henri Kox avec onze et François Bausch avec cinq. La ministre qui en comptabilise le moins est Taina Bofferding avec trois cadeaux ; ce qui paraît très peu, considérant qu’elle a la tutelle sur 102 communes.

En janvier 2020, l’Institut Confucius envoie du thé à Bettel. Ça tombait bien. La veille, East-West United Bank (un autre donateur fréquent) a fait cadeau d’une « tasse ». Bruno et Isabella Agostini, cofondateurs de l’école privée « Over the rainbow » à Belair, envoient une boîte de biscuits. La banque Intesa Sanpaolo offre un « stylo Montblanc » à Bettel. Quelques camarades du Stater DP se rappellent également au bon souvenir du Premier. Patrick Goldschmidt envoie du chocolat, Laurence Gillen du gâteau. Le secteur immobilier est représenté par le Groupe Corcelli, le groupe Kuhn, la société sablière Hein et l’agente immobilière Jeanny Friedrich. Le premier expédie du panettone et des pralines, le second un « CD », le troisième un calendrier et la quatrième « trois horloges, une figurine en porcelaine, un étui à crayon en bois ». Iko Real Estate, la société de promotion d’Eric Lux, semble favoriser les ministères verts : un tableau pour Turmes, un autre pour Tanson.

Etienne Schneider s’est vu remettre du foie gras par l’Hôtel Le Royal, du cognac par le représentant commercial de Russie en Belgique (plusieurs années de suite), une BD par l’agence Remax, un tableau par la Bank of China, une tasse Villeroy & Boch par la East-West United Bank ainsi qu’un livre intitulé Russia par Sberbank.

Pierre Gramegna était également un destinataire fréquent. Parmi les expéditaires, beaucoup de banques et groupes chinois : Bank of China (broderies), Ant Financial Services (deux figurines), Huawei (du mooncake) ou encore Legend Holdings (du thé vert). Le CEO de la Bil, Marcel Leyers, offre le jeu Monopoly en version luxembourgeoise. L’étude de l’ancien ministre CSV Jean-Louis Schiltz remet de la lecture: Fintech 2019 et The virtual currency regulation review. Gramegna se voyait souvent offrir de l’huile d’olive, notamment par l’homme d’affaires Nasir Abid. Mauro Giallombardo, l’ancien homme de confiance de Craxi, expédie « une corbeille » pour Noël. Parmi les cadeaux envoyés ou remis aux ministres se trouvent aussi de nombreuses œuvres d’art, alors que leur valeur monétaire est difficile à évaluer. L’arrêté grand-ducal de 2014 stipule qu’en cas de « doute sur la valeur » des cadeaux, les ministres peuvent les soumettre au secrétariat général du conseil de gouvernement pour une estimation professionnelle. Ce qui ne serait pas arrivé jusqu’ici, nous informe le ministère d’État. bt

Néo-humanisme baba

A paru cette semaine sur le blog du jeune think tank syndical, Improof.lu, un éclairage sur le débat économique du moment : Green growth versus Degrowth. Les tenants de la première théorie croient en une croissance du PIB qui serait vertueuse, alimentée par une production verte, notamment permise par l’innovation technologique. Selon la seconde croyance, il est nécessaire de limiter la production et la consommation pour préserver les ressources disponibles pour les générations futures. « Neither approach has yielded significant results so far », écrit Francesco Sarracino, chercheur au Statec. Sur la plateforme de réflexion « pour une économie durable et juste », il avance qu’une crise de confiance, notamment envers les institutions, mine l’effort collectif. « If trust is low, the possibilities for cooperation are scarce and people opt for private solutions to shelter themselves and their beloved ones against deteriorating environment », écrit Francesco Sarracino. L’individualisme et la quête du bien-être particulier priment sur celui en collectivité. Cela passe par l’accumulation, la (sur)consommation et dégrade de fait l’environnement. En écho à ce néo-libéralisme mesuré via l’évolution du PIB, le chercheur du Statec prône un « neo-humanism » avec pour unité de performance la capacité à transformer les ressources en haute qualité de vie. La décroissance n’est ici pas une fin en soi, mais la croissance n’est pas non plus l’objectif. L’objectif est la soutenabilité et le bien-être collectif. pso

Changement à la tête d’Hitec

« I’m happy to share that I’m starting a new position as Chairman of the Board at Hitec ! Looking forward continuing working with Philippe as Chief Executive Officer of our Company », écrit ce jeudi sur Linkedin, Yves Elsen, directeur général de ladite PME technologique à la cinquantaine d’employés. Âgé de 65 ans et à sa vingtième année chez Hitec, son actionnaire principal passe le relais à Philippe Osch, 41 ans, deuxième actionnaire recensé au registre des bénéficiaires. « I would also like to thank our employees for their constant support and creativity, without whom Hitec would not be what it is today. Thank You to all our stakeholders ! », complète Yves Elsen, nommé président du Conseil d’administration. L’un des principaux partenaires de la société d’ingénierie basée à Mamer est l’État. Comme client direct, pour opérer le contrôle du trafic sur les autoroutes nationales via Cita, ou indirectement avec des programmes comme emergency.lu (via SES, dont Yves Elsen est un ancien cadre), Luxeosys (le projet de satellite d’observation présenté et vendu à Etienne Schneider en 2016 ) ou encore Earthlab. Ce partenariat public-privé (via Post notamment) lancé en 2015 lors d’une conférence de presse présidée par le ministre de l’Économie socialiste, devait donner naissance au « premier centre européen de surveillance de l’environnement dédié à la gestion des risques industriels et environnementaux, centre dans lequel seront combinés les moyens de dernière génération de surveillance par satellite avec les plus récentes technologies numériques », comme on le lit sur Paperjam.lu. Le rapport annuel 2022 publié le mois dernier expose la cession pour un euro de la participation de Hitec dans Earthlab, valorisée un demi-million d’euros jusqu’alors. Yves Elsen est par ailleurs inculpé dans une affaire d’évasion fiscale et d’abus de biens sociaux. Deux de ses anciens camarades de la direction ont déjà écopé, en 2021 et 2022, d’une amende de 80 000 euros pour ces faits commis entre 2000 et 2010, notamment des revenus de la société injustement déclarés en Suisse. Ils ont bénéficié d’une certaine clémence parce qu’ils ont plaidé coupables, remboursé l’ACD et parce que de l’eau avait coulé sous les ponts (à cause du sempiternel dépassement du délai raisonnable). Yves Elsen a été président du Fond national de la recherche (2010-2016). Il préside le conseil de surveillance de l’Université du Luxembourg depuis 2016. pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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