Un lot de bracelets fantaisie à strass, « collection éblouissante à découvrir », adjugé pour quinze euros ; un portefeuille vintage en cuir noir Yves Saint Laurent, « d’une élégance intemporelle », pour 25 euros ; un stylo bille Meisterstück Mont Blanc en résine noire à cent euros ou encore un sac à dos Louis Vuitton Soho en toile cirée et cuir marron, en excellent état à 320 euros… Le catalogue de la vente aux enchères réalisée dimanche dernier par Kanerz Art avait tout de l’inventaire à la Prévert. S’y mêlaient des chemises pour homme encore emballées (taille XXXL), des bijoux en or et diamants, des montres et des sacs de marques, des chaussures, des carrés de soie et quelques bizarreries comme des crochets à lacets du 19e siècle – dont un seul a trouvé preneur, à 35 euros – ou ces éventails Louis XV en ivoire et papier peint datant de 1750 qui n’ont pas eu l’heur de plaire.
En ce dimanche après-midi où le printemps se réveille lentement, il n’y a qu’une trentaine de personnes à avoir fait le déplacement dans la zone industrielle d’Howald où la salle des ventes a élu domicile. En revanche, 600 personnes ont suivi la vente en ligne, sur le site de Drouot. La plateforme digitale de l’hôtel des ventes basé à Paris et ses huit millions d’inscrits permet de toucher un public international, notamment d’experts ou de Luxembourgeois vivant à l’étranger. Ici, les espaces, archi remplis d’objets, de livres, de bijoux, des meubles et de tableaux qui attendent d’être vendus ressemblent plus à un hangar ou un entrepôt qu’aux salons feutrés que l’on peut voir dans les films.
Un couple âgé est installé sur un canapé, une femme chuchote à l’oreille de son voisin, un jeune père tient sa fille sur ses genoux, une trentenaire garde son smartphone allumé où elle a noté les lots qui l’intéressait : Le public est à l’image des lots en vente : éclectique. Tous tiennent un petit panneau avec un numéro permettant de les identifier car, pour pouvoir enchérir et acheter, il faut avoir montré son identité. (Les vendeurs aussi sont identifiés pour éviter le blanchiment). Beaucoup sont passés dans les jours précédents la vente pour observer les objets, essayer les vêtements, soupeser les bijoux, comparer les montres et poser des questions aux experts, histoire d’être prêts pour le moment T.
Au pupitre, Alexandre Chateau-Ducos, tiendra le crachoir pendant plusieurs heures. Physicien de formation, ayant travaillé comme acheteur au centre de recherche List, il a créé la maison de vente Kanerz Art (dont le nom compile les prénoms de ses enfants) en 2016, en se spécialisant d’abord dans les livres anciens. Au rythme de 80 à cent lots à l’heure, son après-midi sera bien remplie pour écluser les plus de 500 lots de la vente du jour. Cela démarre sur les chapeaux de roue avec une série de carrés Hermès brigués par des acheteurs en ligne, au téléphone et dans la salle. Ils ont tous été adjugés entre 80 et 300 euros, prix auquel s’ajoute une commission de 28,88 pour cent (dégressive en fonction du prix d’achat).
Suivent des vêtements vintage, puis des chaussures d’homme. Belles paires de bottines, de mocassins, de brogues et de derby en très bon état et avec les accessoires ad hoc, elles connaissent un sérieux engouement, à la surprise du maître de cérémonie. « Nous ne sommes pas spécialisés dans ce domaine et j’avais peur que cela ne soit pas facile à vendre, mais la qualité et l’état de ces souliers ont séduit », avoue, soulagé, Alexandre Chateau-Ducos. Le succès des sacs de femme est plus mitigé, les plus luxueux – dont un Birkin de chez Hermès évalué à plus de 14 000 euros – ne trouvant pas preneur. « Nous allons les reproposer dans une autre vente plus spécialisée », annonce Olivier Bens, responsable du développement de la maison.
Le rythme baisse un peu, avec les bijoux fantaisie puis l’adrénaline remonte au moment de la présentation de montres et de bijoux de luxe. Une bague Art Déco en platine, sertie de diamants et saphirs est disputée en ligne par deux marchands parisiens spécialisés en bijoux anciens. Elle partira à 4 000 euros, au-dessus de l’estimation haute à 3 200. Mieux encore, la montre dame Vacheron Constantin en or avec pavage de diamants des années cinquante a été adjugée à 5 200 euros, alors que le prix démarrait à 3 000. Au total, la vente de ce dimanche a remporté plus de 100 000 euros.
Une grande partie des lots vendus dimanche proviennent de la succession d’un médecin (on ne nous en dira pas plus). Les experts sont souvent appelés par les familles pour vendre telle ou telle pièce. « Ce n’est pas toujours ce qu’on croit qui a le plus de valeur. Nous regardons tout ce qu’il y a dans la maison pour valoriser au maximum les objets », explique Alexandre Chateau-Ducos. Une ancienne publicité Bofferding peut attirer son regard plus qu’un imposant buffet en chêne. « Contrairement aux antiquaires ou brocanteurs, nous n’achetons rien. Nos évaluations sont donc neutres », poursuit-il, insistant sur cette déontologie. Outre la commission payée par l’acheteur, la maison de vente se rémunère à la transaction, négociée avec le vendeur en fonction de la valeur des biens. Le travail à mener en amont de la vente justifie ces paiements : chaque objet est expertisé, photographié, décrit, catalogué, stocké… L’expert précise que sa responsabilité est engagée quand il décrit les pièces et quand il affirme une marque ou un artiste.
« C’est un marché qui croît avec la crise : les gens espèrent récupérer de l’argent en vendant des pièces et d’autres en économiser en achetant en salle de vente », commente Olivier Bens. Il note un rajeunissement du public à la faveur des tendances au vintage et à l’occasion mâtinées d’écologie et de recyclage. C’est pourquoi il travaille activement pour offrir d’autres chances aux invendus en envisageant une plateforme en ligne.