Les jeunes générations ont beaucoup à nous apprendre. Par exemple, pour les gens nés au siècle dernier, passer une journée à la maison était synonyme d’ennui, alors que c’est devenu l’apogée de la béatitude douillette dans laquelle s’épanouit l’adolescent des années vingt (oui 2020), sous réserve d’une bonne connexion Internet. À la question « que fais-tu? » la réponse prévisible est désormais celle d’une activité mystérieuse, sans début ni fin : « je chille », de même que le traditionnel « Comment ça va ? » appelle désormais un rituel « tranquille », voire « OKLM ».
Mieux que la relaxation, qui suppose un état initial de tension, le fait de chiller peut se pratiquer en continu. Parvenir à rester détendu, du matin au soir, relève d’une certaine prouesse, qui semble être devenue à la portée de la majorité des moins de trente ans. Les nouvelles technologies n’ont pas créé que le microworking (prendre deux minutes pour répondre à un courriel dans un ascenseur) ou le microlearning (se connecter à Duolingo pour perfectionner son espagnol dans la file d’attente du supermarché), ils ont aussi donné naissance au constant chill out, où tout instant d’inactivité est rempli par l’utilisation d’un réseau social ou d’un jeu en ligne consistant à aligner des fruits ou à faire rebondir une bouteille d’eau virtuelle.
Vu de nos univers étriqués d’adultes, soumis aux tracasseries administratives et au combat quotidien à mener contre l’augmentation de l’entropie qui fait croître tas de linge à repasser, piles de vaisselle sale et nombres de messages en attente de réponse, difficile d’arriver à un tel détachement. Comment rester impassible devant une panne, une fuite, les propositions absurdes de son GPS, certains commentaires de L’Essentiel, les voitures garées sur deux places de parking, la course effrénée à qui sera le plus vu, le plus riche, le plus bête ? Devant ceux qui passent à la caisse moins de dix articles avec douze articles, les adeptes du réveil à la perceuse, la tondeuse ou la tronçonneuse, face aux voisins du dessus qui ne peuvent pas se déplacer sans hauts talons, ou face aux voisins du dessous qui souffrent d’hypersensibilité auditive et vous reprochent d’avoir laissé tomber vos chaussettes sur le parquet, devant les usagers des transports en commun qui installent leur sac sur le siège à côté d’eux, les désinhibés convaincus qu’utiliser le haut-parleur de leur téléphone dans un lieu public ne dérange personne, les mastiqueurs la bouche ouverte tellement fiers du spectacle offert par les sons dont est capable leur cavité buccale ?
Difficile de ne pas confesser une certaine admiration devant les zélés du zen, les Gandhi aguerris et autres ceintures noires de Hatha yoga, adeptes de la playlist « sérénité et hibernation ». Faute d’une perfusion de camomille en intraveineuse, il n’est pas évident d’arriver, à notre tour, à assouplir notre vésicule biliaire ou diminuer notre taux de cortisol, l’hormone du stress. En effet, peu d’expressions ont un effet aussi radical pour déclencher un regain d’énervement, ajouter une bûche dans le brasier de la colère, attiser les flammes de la furie, que ces deux simples mots : « calme-toi ! ». Même les vidéos dites « ASMR », censées procurer une détente profonde grâce à la diffusion de sons éveillant un sentiment de bien-être, laissent perplexes puisqu’on y trouve plus souvent des chuchotements inaudibles ou des bruits de brosse à cheveux que le bruit de gromperekichelcher plongeant dans l’huile bouillante ou le pop du bouchon de liège sortant de la bouteille de vin.
Dès lors, de même que les jeunes générations sont préparées à la « vie active » par des journées d’observations destinées à leur faire découvrir les caractéristiques de l’environnement professionnel, peut-être pourrions-nous bénéficier de stage d’immersion dans la « vie passive », où des journées entières seraient consacrées à ne rien faire ?