Chronique Internet

Facebook chute lourdement

d'Lëtzebuerger Land vom 27.07.2018

Malgré des chiffres-clés en nette hausse, l’action Facebook a perdu jusqu’à 25 pour cent de sa valeur en quelques heures après la présentation de ses résultats trimestriels cette semaine. D’autres entreprises cotées auraient sans doute pu s’attendre à un engouement de la bourse si elles annonçaient un chiffre d’affaires trimestriel en hausse de 42 pour cent par rapport au même trimestre de 2017 et une progression du bénéfice net de 3,894 milliards à 5,106 milliards. Avec 30 275 employés au 30 juin 2018, ses effectifs ont progressé de quelque vingt pour cent par rapport à six mois plus tôt. Mais Facebook n’est pas une société comme les autres. Depuis son introduction en bourse, elle a entretenu auprès des investisseurs des attentes de croissance exponentielle. Que le chiffre d’affaires ait progressé nettement moins vite qu’au premier trimestre 2018, avec une baisse de huit points de pourcentage, a suffi pour provoquer dans un premier temps une chute de quelque dix pour cent. Mais ce sont surtout les perspectives, annoncées par la suite lors d’une conférence téléphonique, qui ont poussé les investisseurs à pousser le bouton « vendre », l’action tombant jusqu’à 165 dollars contre 217,50 dollars lors de la clôture précédente.

Ce vent de panique a été causé par l’annonce que la croissance continuerait de se ralentir et que ses dépenses augmenteraient au cours des trimestres à venir. Le tout s’est combiné à la perception par les investisseurs d’une gestion catastrophique des différents problèmes vécus ces derniers mois par le réseau social, le scandale Cambridge Analytica et les « fake news », suivi d’une intervention décevante de Mark Zukerberg devant les législateurs étatsuniens, et l’introduction par l’Union européenne

de nouvelles règles de protection des données privées. « Facebook has hit a wall », a commenté le site de nouvelles technologiques Techcrunch. Pour étayer son analyse, Techcrunch a mis en avant qu’avec 2,23 milliards d’utilisateurs actifs mensuellement, Facebook a déçu parce que ce chiffre représente une hausse de « seulement » 1,54 pour cent par rapport au trimestre précédent alors que la moyenne des années précédente était de l’ordre de trois pour cent. Idem pour le nombre d’utilisateurs quotidiens, qui a atteint 1,47 milliard, là aussi une hausse modeste de 1,47 pour cent, moitié moins qu’au premier trimestre.

Pour la première fois de son histoire, Facebook a enregistré un recul du nombre de ses utilisateurs mensuels en Europe, 376 millions contre 377 millions un trimestre plus tôt, et une stagnation en Amérique du Nord à 241 millions. Ce sont ses deux marchés les plus lucratifs, et les investisseurs ont compris qu’une croissance dans le reste du monde ne pourra pas compenser des reculs dans ces pays industrialisés.

Il n’a pas non plus échappé aux investisseurs que les nouvelles règles de protection des données personnelles des citoyens de l’Union européenne empêchent désormais Facebook d’arroser ses utilisateurs aussi efficacement en publicités ciblées qu’il ne le faisait jusqu’ici. Une autre information fournie par l’état-major de Facebook a encore accentué la perception d’une future érosion de ses profits : celui que la stratégie adoptée par Facebook de privilégier de plus en plus le partage de « stories » (posts visuels éphémères) aux posts classiques déboucherait sur un avenir incertain en terme de revenus publicitaires : il n’est pas sûr que les annonceurs suivent le mouvement.

Entre les plateformes Facebook, Instagram et Whatsapp, 2,5 milliards de personnes dans le monde utilisent au moins un des réseaux gérés par le groupe de Mark Zuckerberg. Nul doute donc qu’il s’agit d’un acteur planétaire incontournable. Ce qui avait sans doute échappé jusqu’ici aux investisseurs hypnotisés par les taux de croissance mirifiques annoncés trimestre après trimestre, c’est que pour pouvoir continuer sur sa lancée, le groupe allait tôt ou tard devoir commencer à aller chercher ses utilisateurs au-delà du système solaire.

Jean Lasar
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